Les 5 dates clés pour comprendre la polémique autour de la vente des Rafale de Dassault en Inde
La polémique ne cesse d’enfler autour du contrat de vente de 36 Rafale à l’Inde. Alors qu’elle s’est transformée en affaire politique en Inde, elle ternit l’image de l’avionneur et pourrait compromettre de futurs contrats.
Un appel d'offres annulé, une instrumentalisation politique en Inde, une bourde impromptue de François Hollande, des "offset" qui sèment le doute... Ces derniers mois, la vente par Dassault Aviation des 36 Rafale à l'Inde a pris la tournure d'une affaire politico-industrielle de grande ampleur. Elle agite tout le milieu politique indien et pourrait mettre à mal les ambitions de l'industriel dans ce pays. Cinq dates pour comprendre comment on en est arrivé là.
23 septembre 2016 : Dassault signe un contrat pour 36 Rafale
Ce jour-là, Dassault Aviation signe un contrat pour la vente de 36 Rafale à l’Inde, représentant un marché d’environ 8 milliards d’euros. Le deuxième succès du Rafale à l’export, après l’Egypte, était pourtant bien mal engagé. Certes, en 2007, l’appel d’offres lancé par l’Inde concernait au total 126 appareils. Mais il prévoyait que Dassault vende directement 18 appareils puis que les 108 restants soient assemblés sur le sol indien. Remporté en 2012 par Dassault, l’appel d’offres fait long feu en raison d’un écosystème indien aéronautique insuffisant. Et se transforme en 2015, à l’occasion de la venue du Premier ministre indien Narendra Modi à Paris en avril, en un contrat de "seulement" 36 Rafale. L’Armée de l’Air indienne, qui opère une flotte vieillissante composée notamment d’appareils russes d’ancienne génération, a un besoin urgent de nouveaux appareils.
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Mais avec le contrat signé en 2016, il s’agit bien de l’achat d’appareils assemblés par Dassault sur son site historique français de Mérignac (Gironde). Les premières livraisons sont prévues pour fin 2019 et sont étalées sur trois ans environ. "Make in India" oblige, le français se voit imposer des "offset", des investissements compensatoires. Bien connu dans l’industrie, et dans l’aéronautique en particulier, ils consistent pour celui qui remporte un contrat à investir - en production, en formation… - un pourcentage de la valeur de ce contrat dans le pays qui achète. Dans le cadre du contrat Rafale avec l’Inde, Dassault Aviation s’est engagé à réaliser des offset à hauteur de 50 % de la valeur du marché. En octobre 2016, l’industriel annonce s’associer avec l’entreprise indienne Reliance, un conglomérat dirigé par l’homme d’affaire Anil Ambani.
10 février 2017 : Dassault crée une société commune avec Reliance
Dans le cadre de la réalisation d’une partie de ces offset, Dassault Aviation créé une société commune avec son nouveau partenaire indien Reliance : Dassault Reliance Aerospace Ltd (DRAL), le 10 février 2017. Dassault y investit pour sa part 100 millions d’euros. Les deux industriels visent notamment à construire une usine commune, à Nagpur. La première pierre est posée le 27 octobre 2017. Le site produira d’abord des pièces pour le Falcon 2000 puis pour le Rafale. Si le Français jouit d’une réputation mondiale dans l’aéronautique, le groupe Reliance n’a en revanche pas d’expérience en la matière.
C’est le choix de ce partenaire industriel indien, détenu par le milliardaire Anil Ambani, qui va peu à peu générer en Inde la suspicion. L’Inde ne possède-t-elle pas un constructeur aéronautique maison, Hindustan Aeronautics (HAL) ? A la fin de l’année 2017, l’opposition s’enflamme. Rahul Gandhi, le président du Parti du Congrès, fait naître la polémique : Reliance aurait bénéficié du contrat en raison de sa proximité entre son patron et Narendra Modi, le chef du gouvernement indien. Cette accusation de favoritisme en faveur de Reliance va peu à peu se transformer en "affaire Rafale". Elle fait régulièrement la Une des journaux et alimente le gros des débats politiques en vue des élections générales, prévues en 2019.
21 septembre 2018 : François Hollande ravive la polémique
L’opposition indienne n’en attendait pas tant. Dans une interview accordée à Mediapar, le vendredi 21 septembre, l’ancien président de la République François Hollande apporte de l’eau au moulin à Rahul Gandhi. François Hollande affirme que la France n'avait "pas eu le choix" du partenaire indien du constructeur Dassault. Et d’ajouter : "C'est le gouvernement indien qui a proposé ce groupe de services et Dassault qui a négocié avec [le magnat Anil] Ambani". Des propos qui s’expliquent, toujours selon Mediapart, par la volonté de l’ancien président de se dédouaner : Reliance a participé au financement du film "Tout là-haut", dans lequel joue sa compagne Julie Gayet.
La sortie de François Hollande n’agite pas que les politiques indiens. "Je trouve que cette petite phrase prononcée à l'étranger, s'agissant de relations internationales importantes entre la France et l'Inde, ne rend service à personne et ne rend surtout pas service à la France", avait réagi sur Radio J le secrétaire d’État français aux Affaires étrangères Jean-Baptiste Lemoyne, cité par l’AFP. Il n’aura d’ailleurs pas fallu beaucoup de temps pour que François Hollande effectue un rétropédalage. "Dassault s'est retrouvé avec Reliance sans que le gouvernement français ait été consulté (...), dira-t-il un peu plus tard. Ce sont des partenaires qui se sont choisis eux-mêmes."
11 octobre 2018 : Dassault monte au front pour se défendre
Face à la polémique croissante, et suite à la sortie de François Hollande et à la (très) mauvaise tournure que prend l’affaire, Dassault, pourtant habitué à observer la plus grande discrétion, sort du bois. L’industriel publie le 11 octobre 2018 un communiqué de presse, précisant de nouveau les contours du contrat passé avec l’Inde. "Pour réaliser une partie de ces offsets, Dassault Aviation a décidé de créer une joint-venture avec le groupe Reliance qu’il a librement choisi", précise l’avionneur. Qui en profite pour souligner la multiplication de partenariats passés avec d’autres industriels indiens, tels que BTSL, DEFSYS, Kinetic, Mahindra, Maini, SAMTEL…
Pas de hasard dans le choix de communiqué ce 11 octobre : ce jour-là, la ministre indienne de la Défense, Nirmala Sitharaman, en visite à Paris, nie de nouveau toute implication de son gouvernement dans le choix du partenaire indien de Dassault. Pour enfoncer le clou, le patron de Dassault Aviation se fend d’une interview accordée à l’AFP. Le dirigeant cherche à relativiser l’importance de Reliance dans le contrat des 36 Rafale et précise que les compensations avec ce partenaire ne représentent que 10 % du total. "Nous sommes en négociation avec une centaine d'entreprises indiennes, dont une trentaine avec lesquelles des partenariats ont déjà été conclus", précise le dirigeant.
Printemps 2019 : les indiens vont aux urnes
Nul doute que la polémique autour de la vente des Rafales de Dassault en Inde devrait perdurer au moins jusqu’aux élections générales, prévues en avril-mai 2019. L’opposition indienne tient là l’arme politique qui lui permet de dénoncer la collusion supposée entre les politiques et les grands industriels. Victorieux, Rahul Gandhi laissera-t-il tomber la ficelle ? Perdant, persistera-t-il à affirmer que les règles entourant ce type de contrat ont été contournées ?
Côté Dassault, la polémique exaspère. Elle ternit l’image de l’industriel qui espère vendre davantage que ces 36 Rafale. L’avionneur lorgne deux nouveaux appels d’offres. Le premier concerne 57 appareils pour la marine indienne, Dassault espérant convaincre avec ses Rafale Marine. L’autre représente l’un des plus gros contrats militaires du moment : 110 avions de combat. En plus de devoir se battre pour maintenir sa réputation, Dassault va affronter des concurrents tels que Lockheed Martin (avec son F16), Saab (avec le Gripen), Boeing (et son F18), Eurofighter (avec le Typhoon) sans oublier le MIG 35 russe.
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