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Dans cet épisode d'Industry Story, Guillaume Dessaix revient sur la grève du Joint Français qui au début des années 70 a enflammé la Bretagne.

Épuisés par six semaines de grève, les ouvriers sont en colère. Après une nuit de tractations avec la direction du Joint français, qui s’est soldée par un échec, certains rechignent à laisser partir les trois directeurs. Au matin du 6 avril 1972, devant l’usine de Saint-Brieuc, la compagnie CRS 13 charge les grévistes. Un délégué CFDT est blessé au visage par un coup de crosse. En larmes, à bout, l’ajusteur Guy Burniaux attrape par le col un policier, qui en fait autant. Les esprits s’échauffent. Les cris contre les matraques. « Vas-y puisque t’es là pour ça, tape-moi dessus ! », hurle l’ouvrier. Dans ces mots, un enjeu collectif, mais aussi une émotion toute personnelle.

Objet inconnu

La Bretagne est loin de tout. De Paris, des sièges sociaux, des institutions et des décisions. Le décret Mendès-France de 1955 a obligé les entreprises à délocaliser certaines de leurs unités pour offrir emploi et partage de la production. Le fabricant de joints d’amiante et de caoutchouc comprimés a posé son dévolu sur Saint-Brieuc. Aides gouvernementales et même don de la ville de 4 millions de francs... ou comment les contribuables paient pour créer leurs propres emplois. À l’automne 1962, l’usine emploie 300 salariés, un millier dix ans plus tard. Une réussite. Seulement, la distance géographique avec Paris s’inscrit aussi dans les salaires. Les ouvriers bretons les moins qualifiés triment 47 heures par semaine pour 4,13 francs de l’heure, quand ceux de la région parisienne touchent 4,32 francs. Comment finir le mois avec une telle paye ? Sans diplôme, d’origine rurale, les Briochins se sentent méprisés. Alors la mobilisation commence.

La lettre recommandée adressée à la direction générale le 14 février comporte des revendications claires : augmentation du salaire horaire de 70 centimes, réduction d’une heure sans perte de salaire, bénéfice d’un treizième mois... Le 23 février, les premiers débrayages de trente minutes ont lieu. La direction du Joint français reste étanche aux revendications. Les meetings s’enchaînent, l’usine est occupée et les forces de l’ordre mobilisées.

Artichauts, poireaux, choux-fleurs, œufs par centaines... Des collectes alimentaires sont organisées par les paysans. Les cantines scolaires sont gratuites pour les enfants des grévistes, la municipalité apporte 70 000 francs d’aides à la cause, les mairies voisines votent des subventions spéciales, l’évêque de Saint-Brieuc appelle ses fidèles à participer, des quêtes ont lieu à la sortie des églises, matchs de foot et concerts sont organisés... Tous soutiennent les salariés mécontents. Ils auront leurs 70 centimes !

Le 6 avril, le CRS que Guy Burniaux empoigne de toute sa rage n’est autre que son copain du lycée technique Curie où les deux boute-en-train fumaient leurs clopes ensemble. Jean-Yvon Antignac ne peut se résoudre à frapper son pote. La photo devient symbole. L’évacuation musclée de l’usine renforce le soutien de la population, qui grossit les rangs des manifestants. Ils sont plus de 15 000 le 18 avril. Le 3 mai, la colère gagne toute la Bretagne. Le 5, le ministre du Travail prend les choses en main et une hausse de 65 centimes est signée le 8 mai, jour de victoire. Et d’armistice. La grève est terminée. Les 4,13 francs passent à 4,78, puis à 4,98 en octobre. Les ouvriers ont fait ce qu’ils ont pu et c’est déjà beaucoup. Le 9 mai, le travail reprend à 14 heures. Guy et Jean-Yvon resteront amis pour la vie.

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Joindre les deux bouts, ou comment la grève du Joint français a enflammé la Bretagne

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