Thales dévoile son nano-neurone artificiel et prouve ses capacités
Des chercheurs de l’unité mixte de physique CNRS-Thales de Palaiseau ont présenté ce mardi 19 septembre un nano-neurone artificiel qui ambitionne d’être le composant de base d’ordinateurs dédiés à l’intelligence artificielle. Et ont démontré ses capacités.
Unité mixte de physique CNRS-Thales, Palaiseau, Essonne. Sur le bel écran couleur de l’oscilloscope, Mathieu Riou pointe une série d’oscillations en jaune – représentant une voix prononçant des chiffres. Puis un autre signal d’apparence tout aussi brouillonne, en vert : "C’est la réponse du nano-neurone." Soit les chiffres reconnus par la machine, avec une précision de 99,6%. On peut croire le doctorant sur parole. La revue "Nature" a publié en juillet dernier ces travaux, menés en collaboration avec des chercheurs américains et japonais. Pour Julie Grollier, directrice de recherche au CNRS et directrice de thèse de Mathieu Riou, "C’est une première. Les autres travaux sur des neurones artificiels d’échelle nanométrique se cantonnent à simuler des réseaux de leurs neurones. Nous, nous réalisons une démonstration."
Filer l’analogie avec le cerveau, dix mille fois plus efficace énergétiquement
"C’est une percée prometteuse dans l’intelligence artificielle", soulignait un peu plus tôt ce 19 septembre Marko Erman, directeur de l’innovation de Thales. Et pour cause : l’intelligence artificielle dans sa version deep learning – apprentissage profond – exige de traiter d’énormes quantités de données. Faire tourner les algorithmes de réseaux de neurones sur l’informatique à base de transistors est un gouffre énergétique. La faute, pointe Julie Grollier, à "la séparation spatiale entre le stockage des données (la mémoire) et leur traitement (le processeur)". D’où l’idée de filer l’analogie avec le cerveau, dix mille fois plus efficace énergétiquement, dont les neurones, avec leurs synapses, traitent et stockent les données au même endroit et en même temps. Remplaçons le transistor par un composant rapprochant mémoire et traitement comme un neurone. L’ordinateur neuromorphique que l’on construira avec sera la machine idéale pour faire tourner les algorithmes de réseaux de neurones.
Nano-boussole de 100 nm de diamètre
Les recherches sur les synapses et neurones artificielles vont bon train, utilisant memristors ou systèmes optiques. L’approche de Julie Grollier est, elle, issue de ses travaux sur la spintronique, une spécialité historique de l'UMR CNRS/Thales qui consiste à utiliser le spin des électrons – une propriété purement quantique analogue à une aimantation –pour stocker et manipuler des informations. Le nano-neurone consiste en une jonction "ferro-isolant-ferro", soit un empilement de deux couches de métaux ferromagnétiques – qui peuvent être aimantés, tel le fer – séparées par une fine couche d’isolant électrique. Le tout prenant la forme d’une colonne d'environ 100 nanomètres de diamètre et de quelques centaines de nanomètres de hauteur. Ces nano-neurones sont fabriqués au Japon, au National Institute of Advanced Industrial Science and Technology.
Réponse non-linéaire et mémoire à court terme, comme un vrai neurone
Lorsqu’on injecte un courant à travers la jonction, l’aimantation de la couche supérieure se met à tourner, telle l’aiguille d’une boussole qui pointerait vers un Nord mouvant. Cet oscillateur magnétique est tout d’abord très stable, ce qui est remarquable vu sa petite taille. Il possède aussi deux propriétés qui justifient l’appellation de neurone. Premièrement, "la relation entre la valeur du courant et la fréquence de rotation de l’aimantation est non linéaire [non proportionnelle, ndlr]. C’est-à-dire que la réponse du nano-neurone à un signal d’entrée est non linéaire, comme l’est la réponse d’un neurone du cerveau", explique Julie Grollier. Une non-linéarité qu’imite aussi la fonction d'activation des nœuds des algorithmes de réseaux de neurones. Ensuite, "la réponse du nano-neurone n’est pas instantanée, ce qui signifie qu’il possède une mémoire à court terme comme un vrai neurone", ajoute la directrice de recherche.
Un réseau d'un millier de nano-neurones d'ici trois ans
Pour l’instant, la démonstration des chercheurs se limite à l’utilisation d’un seul neurone. Pour démontrer ses capacités en intelligence artificielle avec la reconnaissance vocale de chiffres, les chercheurs ont dû recourir à une astuce (multiplexage temporel) pour émuler – "et non simuler", insiste Mathieu Riou – un réseau de 400 nano-neurones. Prochaine étape : faire travailler ensemble plusieurs nano-neurones en utilisant une autre de leurs propriétés. La rotation de la "nano-boussole" de la couche supérieure génère un champ électrique qui peut être capté par un nano-neurone voisin : voilà les deux connectés. Pour connecter des neurones plus distants, des synapses artificielles, qui assureront la mémoire à long terme, devront être développées. L’UMR CNRS-Thales y travaille. "D’ici à deux à trois ans, nous visons la réalisation d’un réseau d’environ un millier de nano-neurones", révèle Julie Grollier. L’ordinateur neuromorphique avance pas à pas.
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