Pourquoi l'Oreal a misé sur la mécanobiologie

Quel est le lien entre la cosmétique anti-âge, les nanosciences, l’imagerie numérique, le machine learning, Singapour et l’Oréal ? C’est la mécanobiologie, une "nouvelle" (20 ans) discipline de recherche fondamentale qui devrait trouver des applications en oncologie, dans la lutte contre les maladies neurodégénératives, la médecine personnalisée et l’aide au diagnostic. Industrie & Technologies a participé à l'université de recherche de l'Oréal sur le sujet, organisée à Singapour le 4 avril, pour en savoir plus.

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Pourquoi l'Oreal a misé sur la mécanobiologie
Le professeur G.V. Shivashankar, directeur adjoint du Mechanobiology Institute, lors de la L'Oreal Research University consacrée à la Mécanobiologie le 4 avril 2017

Qu’on ne s’y trompe pas. La mécanobiologie, cette discipline de recherche fondamentale dénichée à Singapour par l’Oréal pour développer son nouveau produit beauté anti-âge de la marque Clarisonic, n’est pas juste une caution scientifique au secours du marketing cosmétique. Ce champ de recherche fondamentale, qui vise à « comprendre les interactions entre les forces physiques et biochimiques sur les cellules et les tissus et la façon dont ils les interprètent », comme l'expose le professeur G.V. Shivashankar, directeur adjoint du Mechanobiology Instutute à Singapour, devrait trouver des applications dans la régénération des tissus, la pathogenèse, le diagnostic de maladie, la découverte de traitement et la médecine personnalisée.

Etudier les effets mécaniques sur les cellules et tissus

« L’ADN est en effet sensible aux signaux mécaniques et va les interpréter. Le but de notre institut de recherche est de comprendre l’interprétation par les cellules et tissus de ces signaux, précise le professeur Shiva. Par exemple, une action sur les tissus de la peau peut la conduire à produire plus de protéines. Mais dans le cas d’un cancer, les cellules ont une mauvaise interprétation. Un des objectifs est de les aider à garder leur état correct. La mécanobiologie est donc un nouveau paradigme entre physique, chimie, sciences de la vie… qui permet de transformer des effets mécaniques en effets biologiques. »

Une discipline récente, rendue possible par l’émergence des nanosciences et de nouvelles techniques d’imagerie numérique. Selon le moteur de recherche Google Patent, le premier brevet y faisant référence date de 2001. Il a été déposé par l’université de l’Illinois, aux Etats-Unis, et porte sur la microfabrication de membranes destinées à la croissance des cellules. Sur les 280 brevets comportant l’occurrence Mechanobiology, on trouve aussi un brevet du CEA de 2012 pour un substrat souple pour la culture cellulaire et son procédé de préparation. Mais la plupart viennent des Etats-Unis (université de l’illinois,Texas Tech UniversitySystem, Harvard College, Université d’Oklahoma…), parfois d’Allemagne, du Royaume-Uni ou de Pologne. L’université Bydgoszczy a ainsi déposé en 2008 un brevet pour un procédé permettant de déterminer de manière non invasive la densité et les paramètres de la poroélasticité de l'os long.

Un institut dédié à Singapour

Mais c’est à Singapour, sur le campus du National University of Singapore, dans le T-Lab, un bâtiment inauguré en 2010, que l’on trouve au 9e et 10e étage le premier institut de recherche dédié l’étude des réactions des cellules aux forces mécaniques, le Mechanobiology Institute (MIB). Fondé en 2009 avec le soutien du ministère de la recherche et de l’éducation du dragon chinois, il est dirigé par son fondateur, le prfesseur Mike Sheetz. Et les moyens mis à la disposition des 20 professeurs et doctorants qui y travaillent sont impressionnants : équipement lithographiques pour concevoir et fabriquer ses propres équipements électroniques de mesure, premier microscope permettant d’illuminer la structure des cellules, etc. Déjà 4 start-up ont été créées à partir de ses travaux, notamment Clearbridge NanoMedics, par le Professor Lim Chwee Teck et Learbridge Nanomedics.

Un laboratoire de pointe, avec lequel le CNRS a créé en 2014 une unité mixte internationale (UMI) de recherche, l’UMI BMC2 BioMechanics of Cellular. Dirigée par Virgile Viasnoff, chercheur CNRS, l’UMI BMC2 contacts est localisée au Mechanobiology Institute. Elle se consacre à l’étude multidisciplinaire des mécanismes régulant les contacts cellulaires et du « mecanosensing ». La mesure des effets mécaniques sur les cellules, au service de l’oncologie, de la génomique, de la détection de maladies dégénératives, est en effet au cœur du savoir-faire développé au MIB. Mais pas seulement. Dans ses travaux sur la mécano-génomique, elle utilise aussi le machine learning en partenariat avec Caroline Uhler, du MIT.

Première application industrielle dans la cosmétique

La mécanobiologie est ainsi bien à la base de la dernière innovation de L’Oréal : un instrument de massage inédit aux effets anti-âge sur les rides et le contour du visage, des lèvres et du cou de la marque Clarisonic. Un partenariat de recherche entre L’Oréal et le Mechanobiology Institute de Singapour, initié en 2008, a en effet permis de démontrer que des vibrations à une fréquence de 75 Hz, pouvant générer 9000 micro-massages par minute, peuvent modifier deux propriétés clés des tissus cutanés en renforçant la jonction derme-épiderme et en améliorant la production de la matrice extracellulaire. « On a pu démontrer l’efficacité sur des paramètres, comme la collagène ou l’élasticité de la peau », explique Elisa Caberlotto, project manager au sein de la Cosmétique Instrumentale de L’Oréal. Mais c’est avec les outils d’imagerie avancée de l’Institut Langevin que les chercheurs de L’Oréal ont étudié le mouvement des ondes vibratoires sur des tissus cutanés ex vivo et in vivo et optimiser leurs effets. Le design de la tête de massage a lui été développé par les équipes américains de Clarisonic. L’ensemble des résultats a fait l’objet d’une publication dans Plos One en 2017.

Pour le MIB, le risque d’assimiler mécanobiologie et cosmétique ne pose pas de problème. « On a beaucoup à apprendre de l’industrie et la mécanobiologie couvre de nombreux champs : la peau, les os, les cellules », observe le professeur Shiva. Travailler avec l’Oréal, c’est avoir accès à une des plus importante base de connaissance sur la peau. Et la communication que la marque fait de cette technologie pourrait ouvrir au Mechanobiology institue la porte à d’autres contrats industriels. L’Oréal lui-même réfléchit à renouveler son contrat, mais ne sait pas (ou ne dit pas) encore précisément sur quel sujet.

Les détails de la R&D du nouvel instrument de massage par Elisa Caberlotto.

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