"Les jeunes cherchent leur place et ne la trouvent pas", juge Hakim El Karaoui
Hakim El Karaoui, associé chez Roland Berger après un passage en cabinets ministériels, une expérience chez Rothschild et la création du club du XXIéme siècle, dénonce dans un essai publié en 2013, "La lutte des âges", la prise de pouvoir des seniors et la grande inégalité de revenu, de patrimoine et de statut qui affecte les jeunes générations. A la veille de l'Université d'été du Medef, qui a pour thème la jeunesse, il revient pour nous sur cette question et ces solutions. Il interviendra à l'université du Medef lors d'une table-ronde.
L'Usine Nouvelle - Le Medef a choisi comme thème de son université d’été la jeunesse. Le Président de la République avait affirmé que c’était LA priorité de son quinquennat. Pourquoi cette question travaille-t-elle les élites ?
Hakim El Karaoui - Parce qu’elles voient bien qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas avec la jeunesse. Et il y a deux phénomènes particuliers qui les alertent : les jeunes qui quittent la France et les convertis à l’islam qui se lancent dans le djihadisme. Je parle bien des convertis qui cherchent du sens et le trouvent dans la violence.
VOS INDICES
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0.765792 -35.08
Décembre 2022
Salaire ouvriers - Ensemble DE à RU
% sur dernier mois du trimestre précédent
114.8 +1.68
Octobre 2022
Indice du coût du travail - Salaires et charges - Industrie (NAF rév. 2 sections B à E)
Base 100 en 2016
1.6 +220
Décembre 2021
Inflation en France - Indice des prix à la consommation - Ensemble des ménages
En %
Ces deux démarches restent pourtant des épiphénomènes ?
Oui, mais les élites y sont sensibles, d’abord parce que c’est visible et ensuite car cela montre que des jeunes cherchent leur place et ne la trouvent pas. Mais en réalité le problème est beaucoup plus vaste et macroéconomique, il réside dans la très grande inégalité de répartition des richesses entre les générations.
Des jeunes partent mais n’est ce pas le signe qu’ils ont pris conscience des opportunités de la mondialisation ?
Le problème n’est pas qu’ils partent mais qu’ils ne reviennent pas toujours. Et si ceux qui ne sont pas qualifiés partent pour trouver du travail, les plus qualifiés qui n’ont pas de problème de chômage, le font pour retrouver des perspectives
L’entreprise a-t-elle un rôle à jouer pour mieux intégrer les jeunes ?
L’entreprise n’est que le reflet de nos choix de société. En France, les jeunes sont la variable d’ajustement : pas chers à recruter, pas cher à virer. Une bonne partie de la compétitivité se fait sur leur dos. Ils sont sous-payés et disposent de sous-statut. Le CDI est leur muraille de Chine. Le problème, c’est que toute une génération a mis en place un système qui est très bon pour elle et rend impossible toute réforme. Les jeunes ont deux problèmes : l’accès à l’emploi et à l’immobilier.
Dans votre essai, vous montrez que la question du vieillissement ne touche pas que nos sociétés occidentales ?
La question du vieillissement est mondiale. Elle touche même l’Afrique et bien sûr la Chine. Mais le problème n’est pas tant de vieillir que de maltraiter sa jeunesse. La France et l’Italie sont particulièrement coupables sur ce sujet. Certains pays ont compris qu’à ce jeu, la nation serait perdante, elle se priverait de sa créativité, de sa croissance à long terme. L’Allemagne, pourtant plus âgée que la France, a fait à l’époque de Schröder un choix différent. Elle a fait le choix des actifs. Elle s’est dit, "l’Allemagne a de bons produits, il faut les vendre aux bons clients et baisser le coût du travail", via les services, les mini-jobs, la baisse des charges. Elle a fait le choix au début des années 2000 de l'activité. Résultat, aujourd’hui le revenu des retraités allemand est inférieur de 20 % à celui des actifs, en France c’est le contraire, le revenu des retraités est supérieur de 20 % à celui des actifs. La première décision de François Hollande a été de rétablir la possibilité d’une retraite à 60 ans. On s’enfonce dans une société de rente.
Face à ces réformes qui ne se font pas, les jeunes ne vont-ils pas finalement créer de nouveaux modèles ?
Les jeunes ont un rapport à l’emploi décalé. Le salariat ne les fait plus rêver. S’ils ne sont pas qualifiés, ils préfèrent travailler pour Uber, s’ils sont très qualifiés, ils n’ont plus envie de l’entreprise traditionnelle. Ce qu’ils ressentent, en revanche, c’est l’inaccessibilité des prix de l’immobilier. La réponse est souvent intrafamiliale. Les parents qui en ont les moyens sont généreux avec eux. Mais au final, c’est assez inégalitaire. D’autres jeunes n’ont pas forcément conscience de cette grande disparité dans la répartition des richesses.
Comment expliquer que les jeunes ne se révoltent pas ?
J’ai longtemps réfléchi à cette question. Je pense que c’est dû, d’abord, à la désaffection des mouvements collectifs traditionnels mais aussi à l’éducation que leur a donnée la génération post-68 qui les a élevés. Leurs parents étaient plus dans le dialogue que dans la rigidité, ils ne les ont pas élevés dans le conflit, c’est difficile de se révolter contre eux. Pourtant, c’est cette génération qui a endetté le pays, qui a rendu insupportable le système de protection sociale et qui bénéficie des acquis nés en 1945.
Que faut-il faire pour libérer les jeunes ?
Il faut d’abord plus d’actifs pour partager le fardeau de la protection sociale, il faut plus de femmes, plus d’immigrés, plus de jeunes au travail. Cela passe aussi bien par le nombre de place en crèche que la libéralisation du marché du travail. Après il y a des choix politiques, on peut accorder le droit de vote à 16 ans. Le Japon réfléchit à donner des droits de vote double aux parents de famille nombreuse, plus soucieux des générations montantes. Après, il y a une vrai réflexion macro-économique à avoir sur la dette, l’inflation qui est puissamment redistributrice. La politique actuelle de Mme Merkel et de l’Europe n’est pas celle du chancelier Schröder. Lui défendait l’ouvrier de l’industrie de Basse-Saxe, elle protège les créanciers, ses retraités de la CDU. La question de faire défaut sur la dette se posera en Europe… au-delà de la Grèce. La dernière solution, n’est pas d’opposer les jeunes aux vieux mais de poser clairement le problème de la soutenabilité du système de protection sociale actuel. Il profite à 70 % aux personnes âgés. Ce qui coûte cher c’est la retraite, la santé pas les allocations familiales aux immigrés. On peut se poser la question de conditionner les remboursements de santé par exemple au revenu. Mais nos hommes politiques sont frileux, ils se disent "attention, on touche à mon électorat là".
Propos recueillis par Anne-Sophie Bellaiche
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