[L’industrie c’est fou] Quand deux personnes se partagent le contrôle d'un seul corps (virtuel)
Une expérience en réalité virtuelle menée par l’Inria et l’université de Tokyo a permis à deux personnes de partager simultanément le contrôle d’un même corps virtuel. Un amusement... qui permet aussi de mieux comprendre les interactions entre le corps et l'esprit.
Deux personnes aux manettes d’un même corps. Ceci n’est pas le début d’une histoire schizophrénique, mais le résumé d’une expérience scientifique menée par l’université de Tokyo et l'Inria (Institut national de recherche en informatique et automatisme), dans les locaux rennais de l'institut (Ille-et-Vilaine). Dans cette expérience de "co-incarnation", deux personnes équipées d’un masque de réalité virtuelle (VR) se sont partagé – en proportions variables – le contrôle d’un même corps virtuel.
Outre son aspect ludique (on imagine aisément un jeu vidéo reprendre le concept), cette expérience permet de mieux comprendre les interactions entre le corps et l’esprit. Elle pourrait notamment trouver une application dans la formation en VR.
Monde virtuel
L’expérience – débutée en 2018 et présentée à l’été 2020 dans la revue IEEE Transactions on Visualization and Computer Graphics – se déroule comme suit : deux personnes, équipées d’un masque de VR et d’une manette, sont immergées dans un monde virtuel, incarnées par un avatar.
"Chaque utilisateur partage son avatar avec l'autre participant qui se trouve, lui aussi, présent dans le monde virtuel, explique Anatole Lécuyer, directeur de recherche à l’Inria, dans un communiqué. Ainsi, pour la première fois, deux personnes ont pu être incarnées dans le même avatar en même temps, ayant leurs mouvements et leurs actions transférées simultanément dans le même corps virtuel !"
Plusieurs niveaux de contrôle
Mais comment deux personnes, qui effectuent des mouvements différents, peuvent-elles contrôler un même avatar ? Réponse : en effectuant une moyenne. Ainsi, si l’un des cobayes se tourne vers la droite et que l’autre, au même moment, se tourne vers la gauche, l’avatar reste immobile.
Toutefois, ceci n’est vrai que lorsque le contrôle du corps virtuel est partagé équitablement entre les deux cobayes. Car l’expérimentation ne s’arrête pas là : le degré de contrôle de chaque sujet sur l’avatar varie, sur cinq niveaux, allant de 100 % à… rien du tout. Ainsi, l’un des deux peut être dépossédé du contrôle de son corps virtuel, tandis que l’autre s’en accapare les rennes. (Voilà une autre idée pour un jeu vidéo...)
"Situation surréaliste"
Dans ce monde virtuel, chaque utilisateur a face à lui plusieurs balles, qu’il doit toucher à sa guise ou en suivant une trajectoire prédéfinie. Ensuite, il estime son degré de contrôle sur l’avatar : a-t-il entièrement réalisé l’opération ? En était-il spectateur ? Co-pilote ? Le but de la démarche étant d’estimer "de quelle manière la liberté de mouvement [peut] influencer le sentiment de contrôle du corps partagé", explique l’institut de recherche dans son communiqué.
Là, les résultats sont parfois surprenants, note Anatole Lécuyer le directeur de recherche. "Même quand on a relativement peu de contrôle, voire pas du tout de contrôle, on ne rejette pas forcément cette situation surréaliste, soulève-t-il. On va encore éprouver un peu ce sentiment de contrôle. On continue d'avoir globalement l'impression d'être incarné dans ce corps virtuel qui ne nous obéit pourtant plus."
Locus de contrôle
Un ressenti que tous les cobayes n'éprouvent pas de la même manière, notamment pour les personnes ayant un fort locus de contrôle : "des personnes ayant tendance à penser qu'elles ont naturellement un contrôle fort sur les actions se déroulant dans leur vie", définit Rebecca Fribourg, doctorante qui a réalisé l’expérience.
"Nos travaux suggèrent que ces personnes sont plus sensibles que les autres aux changements opérés pendant l'expérience sur le degré de contrôle de leur avatar", explique-t-elle. Une conclusion qui, selon la chercheuse, ouvre la voie à de nouvelles recherches pour "qualifier cet étrange sentiment de co-incarnation".
Avant cela, l’expérience pourrait à plus court terme nourrir les plateformes de formation en réalité virtuelle pour faciliter l’apprentissage. Ou donner naissance à une expérience immersive inédite.
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