Cela faisait quelques semaines que Jean-Luc Mélenchon l’évoquait dans ses diatribes, mais elle n’avait pas encore atteint son point Godwin – quand tout dîner en ville finit par l’évoquer. Cette semaine, la théorie du ruissellement est devenue l’expression que nul ne peut ignorer, sauf à rentrer d’un trek dans le Ténéré. Certains revendiquent cette "trickle-down theory" pour expliquer, avec force pédagogie, la politique que mène le gouvernement ; d’autres l’invoquent, avec force malveillance, pour la critiquer. Mais le gouvernement la réfute quelle qu’en soit l’origine : "C’est une ânerie", a lâché Bruno Lemaire. Que vaut cette théorie ?
Imaginez une pyramide de flûtes de champagne, de celles qui font briller les yeux à l’heure de la pièce montée. Quand le verre du sommet déborde de champagne, le nectar ruisselle dans les coupes de l’étage inférieur, jusqu’à remplir celles qui sont à la base. C’est ainsi que donner aux riches permettrait de gâter les pauvres : les allégés de l’ISF utiliseraient leur manne pour investir et consommer – ils dépenseraient davantage au restaurant, feraient travailler des femmes de ménage et des vendeurs de yachts. Ce qui créerait des emplois, des recettes fiscales, et profiterait au plus grand nombre. Ce que Mélenchon réfute par "quand les riches festoient, les pauvres ne ramassent que des miettes".
Les économistes se déchirent sur le bien-fondé de ce concept. Le FMI n’y croit pas, ce qui le plombe singulièrement. Philippe Aghion, professeur au collège de France, l’économiste qui a inspiré Emmanuel?Macron, estime aussi que c’est "une fable" (mais que le modèle scandinave, lui, ne l’est pas). L’éditorialiste Jean-Marc Vittori rappelle que personne n’a jamais publié une quelconque théorie du ruissellement et que cette idée, apparue dans les débats de la fin du XIXe?siècle aux États-Unis, n’a jamais été démontrée : au contraire, Keynes explique dans sa "Théorie générale…" que les riches dépensent une partie moins importante de leurs revenus, donc que faire pencher le balancier de leur côté pourrait peser sur la demande et l’activité. En France, il n’y a guère que l’essayiste Nicolas?Bouzou qui se soit exprimé en sa faveur : "Quand on crée des emplois à très hauts revenus, ça finit par bénéficier à tout le monde", martèle-t-il. Les allégements d’impôts de Margaret Thatcher ou de Ronald Reagan en leur temps n’en ont pas fourni la preuve irréfutable.
En réalité, peu importe que cette pseudo-théorie soit validée ou non : notre problème est plus profond. La fiscalité sur le capital est tellement pénalisante en France – en comparaison de ce qui existe chez tous ses voisins, et dans tous les grands pays industrialisés – qu’elle décourage les entrepreneurs et fait fuir les industriels en nombre. Que Gérard Depardieu ou Florent Pagny émigrent sous d’autres cieux pour payer moins d’impôts, peu importe, mais les ETI qui se vendent à des groupes étrangers ou les entrepreneurs de l’internet qui vont s’installer à Bruxelles après avoir fait fortune, quand ils voudraient rester jouer les business angels en France, expliquent, autant que le code du travail, le manque d’investissements et d’emplois dans l’Hexagone.
C’est un véritable écosystème qu’il faut rebâtir. Le nouveau président s’attelle à rendre la France business friendly. Espérons qu’avec ou sans ruissellement, les résultats viendront assez vite pour que ses successeurs n’aient pas envie de tout casser, rejetant ainsi définitivement la France parmi les pays irréformables.
12/11/2017 - 19h34 - verdarié
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