Ecologie industrielle : plus simple qu'il n'y paraît

Les grandes expériences de symbiose industrielle montrent tout l'intérêt de valoriser ses déchets et à chercher localement ses matières premières. Mais ils éclipsent les projets plus modestes, pourtant à portée de main de toutes les entreprises.
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Ecologie industrielle : plus simple qu'il n'y paraît
Kalundborg. Dans cette petite ville danoise, plusieurs sociétés travaillent ensemble depuis trente-cinq ans avec un principe simple : le déchet d'un procédé industriel peut être la matière première d'un autre. Une entreprise récupère les eaux usées de sa voisine pour son système de refroidissement et valorise son excédent de chaleur en alimentant la production de vapeur d'une autre. Celle-ci propose à son tour des boues fertilisantes pour les agriculteurs locaux. Et ainsi de suite.

Le système est séduisant mais il est si difficile à reproduire tel quel qu'il semble ranger l'écologie industrielle au rang des utopies. Ou le réserver aux nouvelles zones d'activités qui réussiront à démarcher les bonnes entreprises au bon moment. Or comme le souligne Christophe Blavot, cofondateur de la société de conseil Ecologie Industrielle Conseil (EIC), « le côté réserve d'indiens, ce n'est pas bon. Ça ne sert à rien de faire une zone vertueuse si à côté c'est le foutoir ! L'écologie industrielle, ce n'est pas tout ou rien. » Et toutes les entreprises peuvent s'y mettre, des plus petites aux plus grandes.

Des questions basiques

Issu d'une critique de l'approche linéaire des modèles économiques, « je prends, j'utilise, je jette », le concept d'écologie industrielle résulte d'une double prise de conscience. Premièrement, les ressources naturelles ne sont pas illimitées comme on l'a longtemps affirmé. Deuxièmement, le rejet de déchets est coûteux (dépollution des sols et des nappes phréatiques, enfouissement, démantèlement...). La volonté d'en revenir à une économie circulaire qui va s'inspirer des écosystèmes naturels n'est donc pas une douce rêverie, mais la réponse à une problématique économique.

Avant de révolutionner son activité, mieux vaut commencer un projet ciblé. Première démarche : réaliser un « métabolisme industriel », c'est-à-dire un bilan des matières et des énergies utilisées dans ses processus de production. Une analyse de l'environnement immédiat permet ensuite de répondre à deux questions : ne pourrais-je pas trouver mes matières premières localement ? Mes déchets ne pourraient-ils pas intéresser quelqu'un d'autre ? Des questions finalement assez basiques ! « Il y a un grand nombre d'entreprises qui n'ont pas attendu qu'on parle d'écologie industrielle pour s'y mettre. Souvent, c'est du bon sens » explique Grégory Lannou, coordinateur du Club d'Ecologie Industrielle de l'Aube (CEIA). Reste que pour aller au bout de la démarche, il faut avoir une vision assez claire de son écosystème.

De la betterave à l'entreprise de BTP

Dans les betteraves, il y a du sucre. Mais tout autour, il y a du sable. Une matière pas spécialement appréciée dans les sucreries ! Car pour elles, il s'agit évidemment d'un déchet dont il faut se débarrasser. Chez Cristal Union, à Arcis, les six à douze milles tonnes de sable collectées chaque année ont longtemps été épandues dans les champs des exploitations agricoles voisines. Jusqu'à ce que la présence de graminée pousse le système à saturation. Il a donc fallu chercher une autre solution. Le coût de l'enfouissement, 150 à 300 milles euros par an, est énorme. En 2003, une rencontre avec la société de travaux publics Appia (filiale de Eiffage) s'avère salutaire. Située à quelques dizaines de kilomètres, elle est quant à elle grande consommatrice de sable. Après des études physico-chimiques sur les matériaux, un accord est rapidement trouvé. En 2004, ce qui était un déchet devient à nouveau une matière première pour l'entreprise de BTP. Cristal Union n'a pas à payer l'enfouissement de son sable. Appia trouve une ressource gratuite, allonge la durée de vie de ses carrières... et verdit accessoirement son image d'industriel.


S'adapter aux matières premières

Dans l'Aube, le CEIA regroupe différents acteurs du monde économique (sociétés, collectivités...). L'association centralise des informations locales pour faire coïncider les flux entrants des uns avec les flux sortants des autres. Seule condition : qu'il y ait à la fois un gain environnemental et économique. « Mais les deux vont souvent de pair » insiste Grégory Lannou. Le club cherche aussi les économies qui pourraient être réalisées grâce à la mutualisation de certains services : approvisionnement, collecte ou retraitement de certains déchets voire partage d'équipements... ce qu'une grande entreprise fera naturellement entre ses départements, mais qui est plus rare dans les PME.

L'énergie est un bon exemple de ce qui peut être facilement relocalisé. Dans les années cinquante et soixante, l'explosion du recours au pétrole a contribué à déconnecter les entreprises de leur environnement. Aujourd'hui, les spécialistes de l'écologie industrielle les poussent à avoir à nouveau recours à la biomasse locale ou à une rivière qui passe à proximité pour mettre en place un système de climatisation douce.

Un démarrage qui reste timide

Lorsqu'il conseille ses clients, Christophe Blavot est encore plus ambitieux, estimant que « l'enjeu est de réapprendre à s'adapter aux matières premières et non pas toujours adapter les matières premières aux procédés ». Dans cette logique de substitution, la ressource locale bon marché l'emporte même si elle impose une évolution des machines et des méthodes de production. Un retour aux sources en quelque sorte ! Une récente étude de l'Orée (voir l'encadré) insiste même sur le fait que la valorisation d'un sous-produit, jusque là inexploité, peut pousser à créer une nouvelle activité et à faire évoluer le métier d'une entreprise.

Rendue obligatoire dans le canton de Genève par une loi de 2001, la démarche d'écologie industrielle reste en France confinée à certaines parties du territoire comme le bassin dunkerquois ou le département de l'Aube. Les acteurs économiques installés dans d'autres parties du territoire sont le plus souvent contraints de partir de zéro ou de faire appel à des sociétés de conseil privées comme EIC, Sofies ou Systèmes Durables. Soutenu par l'Agence Nationale de la Recherche, le projet Comethe travaille aujourd'hui sur des outils méthodologiques et informatiques qui pourront être généralisés à l'ensemble du territoire. Parallèlement, le Pôle français d'écologie industrielle tente de rassembler les acteurs concernés par le sujet. « On en est encore au stade pionnier, reconnaît Christophe Blavot, mais tout le monde a pris conscience qu'on était au bout d'un cycle et qu'il fallait en revenir aux basiques de l'économie. L'enjeu, c'est le passage de convictions individuelles à une conviction institutionnelle. Depuis deux ans, on assiste à ce passage là. » Le durcissement de la réglementation environnementale et l'anticipation de la monétarisation de certains déchets devraient achever de convaincre les derniers réticents.

Olivier Descamps

« Mettre en œuvre une démarche d'écologie industrielle sur un parc d'activité »

Une politique d'écologie industrielle peut être mise en place à divers échelons : département, agglomération... C'est à la zone d'activité que s'intéresse un guide très complet de 252 pages publié par l'Orée. Il compile les conclusions d'un groupe de travail réunissant entre 2005 et 2008 des représentants d'entreprises, de bureaux d'études, d'associations et de collectivités. Avec de nombreux exemples à l'appui, ce recueil de bonnes pratiques cherche à montrer l'intérêt de la décroissance des flux de matière. Mais il s'attaque surtout aux questions organisationnelles, définissant les rôles respectifs des entreprises et des acteurs publics, proposant une méthodologie pour conduire un projet local et identifiant les leviers qui peuvent le faire décoller.
Son prix : 35 euros.


Lire aussi :
Kalundborg, la voie danoise


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