De la "Mission design" au "design en mission"...

Ancien directeur de l'Ecole nationale supérieure de création industrielle (ENSCI - Les Ateliers), conseiller scientifique au CEA (recherche technologique et design industriel), Alain Cadix expose chaque semaine pour L'Usine Nouvelle sa vision des mutations de l'industrie par le prisme du design et de l'innovation.

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De la

La " mission design " avait été initiée en juin 2013 par le ministre de Redressement productif et la ministre de la Culture et de la Communication. Pendant une année, jusqu’à son terme, la " mission " a mobilisé des designers, des administrations, des territoires, des associations, des clusters, une banque publique, des fédérations professionnelles, des chambres de commerce et d’industrie, des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, etc.

Il faut toutefois se rendre à l’évidence : ce n’est qu’une partie limitée d’entre eux qui s’est mobilisée et, parmi tous ces acteurs, la plupart n’a fait qu’un petit bout du chemin escompté. Il faut donc poursuivre l’effort et, puisqu’une page est tournée, cheminer par d’autres routes que celles qui partent de la capitale.

ALLUMER DES " FOYERS DE DESIGN " SUR LES TERRITOIRES

Des régions consentent depuis longtemps des efforts au profit du design, de sa promotion, de sa diffusion dans leur tissu économique. L’Aquitaine, l’Ile-de-France, Rhône-Alpes, pour ne citer que les trois premières, sont de celles-là. D’autres viennent d’initier des démarches en ce sens, un effet possible de la " mission design "... D’autres, encore trop nombreuses, ignorent totalement le design ; il n’apparait pas dans leur stratégie régionale d’innovation. Cette hétérogénéité est préoccupante.

Là où le conseil régional – mais aussi la Direccte, la Drac ou le rectorat – n’a pas pris la mesure des enjeux, il faut que des acteurs de terrain allument des " foyers de design " sur leur territoire (pays, agglomération,…) : expositions, conférences, rencontres entrepreneurs – designers, ainsi que chercheurs – designers, interventions de designers dans les lycées et collèges, organisation de stages de longues durées d’élèves-designers dans des PME,…, et mobilisent les médias régionaux.

Cela n’est pas coûteux. Quand les foyers se multiplieront sur le territoire qu’il a en charge, un conseil régional, interpellé, ne pourra plus rester immobile.

Les designers présents dans une région, au moins dans une métropole, auraient intérêt à se regrouper en collectifs, comme, par exemple, " Designers+ " en Rhône-Alpes, toutes sensibilités professionnelles confondues, pour parler d’une même voix et se faire entendre par les instances politiques et professionnelles, par les services de l’Etat en régions et faire bouger les lignes par leur implication dans les associations d’entreprises et les administrations, dans les corps intermédiaires, mais aussi les centres de recherche, les universités et les grandes écoles de leur région.

LE ROLE SINGULIER DES éCOLES DE DESIGN

Sur les territoires, parmi les acteurs susceptibles d’allumer ces " foyers de design ", se trouvent les écoles éponymes. Dans nos régions, hors l’Ile-de-France qui est un cas particulier, il existe trois types d’établissements : tout d’abord un vaste ensemble d’écoles supérieures d’art, dont certaines sont des écoles supérieures d’art et de design (ESAD), ce sont des établissements publics, le plus souvent (inter)communaux, largement financés par des collectivités territoriales ; ensuite quelques écoles consulaires, ou soutenues par des chambres de commerce et d’industrie ; enfin une nébuleuse d’écoles privées aux réputations diverses.

Chacune, quel que soit son statut, devrait se sentir appelée à promouvoir et à diffuser le design, levier de l’innovation compétitive (et non, en l’espèce, art décoratif), sur son territoire naturel d’influence. C’est déjà le cas, avec des nuances, pour les écoles consulaires et pas mal d’écoles privées, du moins parmi les meilleures. C’est moins sûr pour les écoles publiques d’art, même quand elles se nomment d’art et de design.

Un fait récent a éveillé un doute. Regroupées dans l’Association nationale des écoles d’art (ANdÉA), elles ont dernièrement publié une Charte nationale des études en école d’art. Le mot " entreprise " n’y figure pas, comme si l’entreprise pouvait être absente du paysage de la formation, notamment dans les écoles d’art et de design. A cette remarque, l’ANdÉA répond que la charte marque, en fait, une étape et que la suivante sera consacrée à l’ouverture des écoles sur leur environnement et à leur collaboration avec les entreprises, les universités, les autres écoles, etc. Il faut souligner ici la qualité de la démarche de l’association des écoles publiques d’art et, en même temps, espérer que cette ouverture advienne rapidement.

En effet, sur certains territoires régionaux, sans école consulaire, ni privée de bonne tenue, ces écoles sont les seuls acteurs susceptibles de créer un " foyer de design " éclairant les entreprises. Certaines ont heureusement sauté le pas, quelques ESAD (Amiens, Orléans, Reims, Saint-Etienne). Nous formulons ici une proposition qui soulèvera des réprobations, mais le jeu n’en vaut – il pas la chandelle ? Toute collectivité – tutelle d’une école d’art, surtout si c’est une ESAD, devrait conditionner contractuellement une part de son soutien financier à l’existence d’un minimum d’actions, dans le champ du design, c’est-à-dire de la conception innovante, en direction du tissu économique de son territoire. Ce serait pertinent aussi en direction des universités, des grandes écoles d’ingénierie et de management, des centres de recherche.

Le ministère de la Culture ne pourrait qu’acquiescer à l’introduction de cette clause : elle ferait écho à sa vision des arts comme partie prenante au développement économique et éducatif. Il y a peu, en effet, on y parlait du " redressement créatif " au service du redressement productif. Une initiative récente (des résidences d’artiste dans des entreprises) témoignait de cette volonté politique. Et cela renouerait avec une tradition, celle du temps où les beaux-arts fréquentaient l’industrie.

En cette période de notre histoire économique et sociale, le design, au sens que nous lui donnons, a un rôle à jouer. Puisque la page de la " mission design " au niveau de l’Etat est tournée, il faut vite écrire celle d’un " design en mission " sur les territoires. La mutation culturelle attendue passe désormais par cette mobilisation, autant collective que déconcentrée.

Alain Cadix, ancien directeur de l'Ecole nationale supérieure de création industrielle (ENSCI - Les Ateliers), conseiller scientifique au CEA (recherche technologique et design industriel)
@AlainCadix

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