[Chronique éco] Et si la recherche économique avait trouvé la parade contre le terrorisme...

Une étude économique a analysé sur plusieurs décennies les outils les plus efficaces dans la lutte contre le terrorisme. Il en ressort que l'éducation peut être un levier efficace sous certaines conditions, ainsi que tous les outils qui réduisent la conflictualité au sein des sociétés concernées. Raphaël Giraud, professeur à Paris 8 Vincennes Saint-Denis, décrypte les principaux résultats de ce travail.

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[Chronique éco] Et si la recherche économique avait trouvé la parade contre le terrorisme...
Si la protection est indispensable pour lutter contre le terrorisme, elle ne peut pas être l'alpha et l'oméga de la politique menée.

La multiplication des attaques terroristes depuis plusieurs années peut susciter un sentiment de désarroi. Malgré tous les efforts déployés par le renseignement et la police pour déjouer des attentats en préparation, chacun est conscient que c’est en amont, sur les causes du terrorisme, qu’il faut agir pour en tarir la source. La présente chronique présente l’apport d’économistes à cette question (1). Il s’agit d’identifier les effets de l’aide au développement sur la prévalence d’attaques terroristes. Il ressort de cette étude que pour être vraiment efficace, l’aide doit être ciblée sur des secteurs comme l’éducation, la gouvernance et le développement de la société civile.

Ces résultats peuvent sembler de bon sens, mais il faut savoir que dans le milieu académique le débat sur l’efficacité de l’aide au développement en elle-même fait rage et converge vers la mise en doute de son efficacité, lorsque l’aide est indiscriminée. En revanche, les interventions ciblées sur des problèmes précis, notamment sanitaires, et s’appuyant sur les acteurs du pays concerné au niveau local plutôt que gouvernemental, sont souvent couronnées de succès.

Une étude de longue durée sur un échantillon de 147 pays

En matière de terrorisme, l’aide au développement peut réduire le nombre d’attentats pour deux raisons principales. D’une part, l’amélioration des conditions de vie matérielle des potentiels terroristes devrait augmenter le coût d’opportunité du terrorisme, à savoir, ce à quoi il faut renoncer en termes de bien-être pour l’exercer. D’autre part, l’aide au développement permet aux États récipiendaires de consacrer une plus grande partie de leurs ressources à l’anti-terrorisme. Cependant, dans le premier cas, les preuves empiriques sont peu probantes et le développement n’est efficace que dans des circonstances particulières. Dans le second, on n’est pas à l’abri d’effets pervers liés à la contre-attaque des groupes terroristes consécutive à une augmentation de la bataille que leurs livrent les autorités.

Dans le cadre de ce débat, la contribution de l’article étudié, qui analyse les données de 147 pays sur la période 1973-2004, est d’apporter des réponses fines en distinguant d’une part, les types d’aide (l’éducation, la santé, la conflictualité, la gouvernance, le développement de la société civile, notamment) et, d’autre part, les mesures du terrorisme (attentats dans les pays récipiendaires de l’aide, ou perpétrés par leurs ressortissants, ou commis dans les pays donateurs).

L'aide directe aux gouvernements : souvent inefficace

Concernant l’aide prise dans sa globalité, elle est efficace pour réduire les attentats sur le sol des récipiendaires et ceux perpétrés par leurs ressortissants, mais elle augmente les attentats commis dans les pays donateurs. Ce dernier effet, le plus surprenant, provient notamment de ce qu’on appelle « l’aide budgétaire », qui consiste à verser l’aide directement aux gouvernements récipiendaires. On ne s’étonnera pas de cet effet indésirable quand on sait que c’est justement cette forme d’aide qui est la plus critiquée par les contempteurs de l’aide au développement, car c’est probablement la plus sujette au détournement, au gaspillage, etc. Mais il semble que l’on peut voir là également la traduction de l’effet pervers de la lutte contre le terrorisme évoqué plus haut, à savoir la contre-attaque et l’escalade ; mais la contre-attaque semble se déplacer vers les pays donateurs, peut-être accusés de financer des gouvernements détestés.

Si l’on regarde les autres secteurs de l’aide, maintenant, on constate que tous les secteurs évoqués conduisent à une réduction du terrorisme dans toutes les formes considérées. Ce qui est intéressant, c’est d’identifier des ordres de grandeur relatifs, afin de désigner les investissements les plus efficaces. Concrètement, il s’agit de l’aide consacrée à l’éducation, à la gouvernance (c’est-à-dire au fonctionnement des administrations et de l’exercice du pouvoir) et au développement de la société civile (notamment à travers le soutien aux associations, à la presse, bref aux formes d’organisation politique de la société en marge du pouvoir). Il n’est pas évident a priori que l’aide fournie en matière d’éducation soit efficace, tant on a vu par le passé qu’on pouvait être terroriste et très bien éduqué. Mais c’est l’éducation en tant que facteur de production qui est ici à l’œuvre : l’élévation du niveau de connaissance des individus a des effets vertueux (ce qu’on appelle en économie des externalités positives) en ceci qu’elle affecte également la frange non éduquée de la population, par exemple en intégrant à la vie économique des pratiques et idées que tous peuvent imiter.

Education et rendements croissants

Ces effets vertueux sont à la base de ce qu’on appelle des rendements croissants : un dollar investi en éducation donne plus d’un dollar de PIB en plus. Quant aux deux autres formes d’aide, leur efficacité suggère que des États dysfonctionnels et sans libertés fondamentales sont générateurs de terrorisme. Ainsi, soutenir des dictatures car elles constitueraient des barrages au terrorisme n’est pas forcément une idée validée par les données. Elles peuvent donner un temps cette illusion, mais le niveau de conflictualité latente qui y règne peut finir par exploser, comme on l’a vu lors des printemps arabes, et libérer des forces terroristes. Ce n’est pas une stratégie durable, contrairement à celle consistant à favoriser le développement dans les États d’une vie politique riche et d’une administration efficace. D’ailleurs, la réduction de la conflictualité est une des variables qui émerge dans l’étude comme facteur de réduction du terrorisme.

L’article étudié porte sur une période passée (1973-2004) mais il n’est pas interdit d’extrapoler, sous la forme d’hypothèses, ses résultats au défi posé par le terrorisme de DAESH. Un de ses aspects remarquables, du point de vue des pays européens en tout cas, c’est que les auteurs d’attentats sont souvent des enfants des pays qu’ils frappent. La grande question qui se pose alors est : qu’avons-nous fait pour qu’ils en viennent à mordre le sein qui les a nourris ? Les résultats de l’article étudié suggèrent que les causes sont à rechercher dans un dysfonctionnement du système éducatif, un haut niveau de conflictualité (c’est-à-dire d’opposition entre groupes sociaux) et un défaut d’inclusion dans la vie de la société civile (qui dans ces pays est évidemment développée). Ces hypothèses mériteraient donc d’être explorées plus avant.

Raphaël Giraud @raphael_giraud est Professeur de sciences économiques à l'université Paris 8- Vincennes Saint-Denis

Les avis d'expert sont publiés sous la reponsabilité de leurs auteurs et n'engagent en rien la rédaction de L'Usine Nouvelle.

(1) Young, Joseph K., and Michael G. Findley. « Can peace be purchased? A sectoral-level analysis of aid’s influence on transnational terrorism. », Public Choice 149.3 (2011): 365-381.

(2) Krueger, A., & Maleckova, J. « Education, poverty, and terrorism: is there a causal connection? », Journal of Economic Perspectives, 17(4) (2003), 119–144.?

Raphaël Giraud @raphael_giraud est Professeur de sciences économiques à l'université Paris 8- Vincennes Saint-Denis

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