[Avis d'expert] Transition climatique: il est urgent de repenser les relations client-fournisseur!
Les crises monopolisent l’attention des entreprises. Elles doivent cependant avoir conscience que la lame de fond de la transition climatique modifie les règles du jeu relationnel entre client et fournisseur. Il ne se jouera plus seulement à deux et il est indispensable de le repenser, explique Natacha Trehan, maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes.
Traditionnellement, une entreprise entretient une relation bilatérale avec un fournisseur pour développer avec lui une technologie ou pour lui acheter un bien ou un service. Pour décarboner l’économie, des relations multilatérales entre plusieurs clients et fournisseurs s’imposent. Elles prennent au moins deux formes nécessitant de totalement reconsidérer la dynamique des relations client-fournisseur.
L’avènement de la coopétition
Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), 46% des technologies nécessaires à la neutralité carbone d’ici à 2050 ne sont pas encore disponibles ou sont en développement. Une entreprise peut tenter de codévelopper une technologie avec un fournisseur, lui demander une exclusivité pour garantir son avantage concurrentiel. Mais cette approche sera de plus en plus difficile compte tenu des enjeux en termes de capacités de recherche (beaucoup de sujets sont fondamentalement nouveaux), en termes financiers pour l’industrialisation et en termes de délais. Le codéveloppement bilatéral avec un fournisseur va céder la place à la participation à des consortiums ou coalitions pour se garantir un accès aux technologies décarbonées.
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Ainsi, face à l’urgence de se procurer du plastique recyclé de qualité alimentaire d’ici à 2025, alors que la technologie est embryonnaire, Nestlé Waters, PepsiCo et Suntory ont rejoint le consortium du fournisseur Carbios pour accompagner le développement, l’industrialisation de son procédé de recyclage enzymatique.
Parfois, l’enjeu est tel qu’il requiert la collaboration de plusieurs fournisseurs et de plusieurs clients au sein d’un même consortium. C’est le cas de H2Accelerate, entre des clients fabricants de camions (Iveco, Daimler Truck, Volvo) et des fournisseurs d’énergies (OMV, Shell, Total Energies) pour le développement des camions à hydrogène en Europe.
Compte tenu des enjeux technologiques, financiers et temporels de la décarbonation, les traditionnelles relations bilatérales cèdent la place à des consortiums ou coalitions où la coopétition devient la règle. La coopétition est la combinaison de la coopération avec la compétition. Cette coopétition complexifie les relations, et ce, d’autant plus que la compétition se situe à deux niveaux pour les clients : au niveau des produits vendus et au niveau d’une concurrence à l’achat pour se garantir l’accès aux biens et technologies décarbonées. La coopétition remet en question les dynamiques de pouvoir entre client-fournisseur.
Le sacre des relations tripartites
Traditionnellement, un client préfère avoir un nombre limité de fournisseurs afin de mieux suivre leur performance et de faciliter leur management. Il achète en direct auprès d’un fournisseur de rang 1, et le laisse gérer la relation avec les fournisseurs de rang 2, 3, etc.
L’impératif de décarbonation accentue les risques de pénuries de certaines matières, en particulier les métaux de la transition (lithium, cobalt, nickel, palladium…). De nombreux clients, alors qu’ils n’avaient jamais eu la moindre relation avec des miniers, achètent désormais en direct auprès d’eux pour sécuriser l’approvisionnement auprès du rang 1, mais aussi pour garantir la responsabilité de ces approvisionnements. C’est le cas de Volkswagen, par exemple, auprès de Vulcan energy resources pour du lithium neutre en CO2.
D’autres clients décident d’acheter directement auprès des producteurs afin de tenter de peser dans le sens de la décarbonation. Par exemple, de nombreux fournisseurs de rang 1 de pièces de Volvo Group sont des PMI qui n’ont ni l’expertise, ni le pouvoir pour exiger de l’acier décarboné aux producteurs de rang 2. Volvo Group peut plus facilement influencer ce marché. Il a contractualisé avec le suédois SSAB pour développer de l’acier sans énergie fossile.
Dans tous ces cas, la collaboration tripartite est impérative, pour garantir que la nouvelle matière sourcée par le client soit compatible avec le processus de production du rang 1, pour que les engagements de stocks, les volumes contractualisés entre le producteur et le client soient mis à disposition du rang 1, etc.
Que ce soit pour sécuriser l’accès à une matière ou pour influencer un marché, la décarbonation transforme les relations client-fournisseur bilatérales en relations tripartites. Elle signe la fin des approches pyramidales entre le rang 1 et les rangs inférieurs qui ont façonné des décennies de rapports client-fournisseur. Avec la remise en question des rangs, c’est le pouvoir même qui est remis en question. De plus en plus, le pouvoir sera entre les mains des fournisseurs de matériaux « verts » ou permettant la décarbonation. Ce sont eux qui choisiront leurs clients finaux et leurs spécifications réorienteront l’architecture des chaînes d’approvisionnement.
La transition climatique va complexifier les relations client-fournisseur. Coopétition et relations tripartites vont devenir la norme. Il est urgent de repenser les schémas traditionnels de pouvoir entre clients et fournisseurs.
Natacha Trehan est maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes et membre du conseil d’administration du CNA (Conseil National des Achats)
Les avis d'experts sont publiés sous l'entière responsabilité de leurs auteurs et n'engagent en rien la rédaction de L'Usine Nouvelle.
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