[Avis d'expert] Que changent les nouveaux pouvoirs des autorités de la concurrence pour les entreprises ?

Par l’effet d’une directive européenne, les autorités nationales de concurrence auront désormais davantage de pouvoirs. Julie Catala Marty, associée chez Bryan Cave Leighton Paisner, détaille les changements annoncés et mesure l'impact qu'ils pourront avoir pour les entreprises.

 

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[Avis d'expert] Que changent les nouveaux pouvoirs des autorités de la concurrence pour les entreprises ?
L'autorité de la concurrence voit ses pouvoirs élargis.

La loi dite "DDADUE" pour diverses dispositions d'adaptation au droit de l’UE (1), entrée en vigueur le 6 décembre 2020 dernier, transpose une partie des dispositions de la directive européenne (ECN+) du 11 décembre 2018, qui tend à renforcer les pouvoirs des autorités nationales de concurrence et à augmenter leur efficacité. Cette loi habilite, par ailleurs, le gouvernement à prendre par ordonnance des mesures allant au-delà des prescriptions de la directive. La directive ECN+ et la loi DDADUE modifient ainsi substantiellement la procédure en droit de la concurrence. Le présent article dresse la liste des principales nouveautés auxquelles les entreprises vont être confrontées.

  1. L’ADLC disposera de la possibilité d’établir ses priorités

La directive « ECN+ » introduit le principe d’opportunité des poursuites. L’autorité du droit de la concurrence (ADLC) pourra donc fixer ses priorités et concentrer son action sur ce qui représentera à ses yeux un enjeu concurrentiel significatif. Cette nouvelle prérogative est lourde de conséquences puisque des victimes de pratiques anticoncurrentielles pourront se voir opposer que leur dossier n’entre pas dans les priorités de l’Autorité (en dépit des éléments probants apportés). Les stratégies contentieuses des entreprises pourraient s’en trouver modifiées puisque se posera la question de porter le litige devant la juridiction commerciale.

  1. La tâche de l’ADLC pour obtenir l’autorisation de procéder à des enquêtes lourdes sera facilitée

Afin de gagner en rapidité et en efficacité, il est désormais prévu qu’un même juge des libertés et de la détention (JLD) pourra autoriser des opérations de visites et saisies (OVS) simultanées sur la totalité du territoire, y compris en dehors de sa juridiction. L’ADLC n’aura donc pas à soumettre des requêtes aux différents JLD territorialement compétents, comme c’était le cas jusqu’ici.

  1. L’ADLC pourra se saisir d’office afin d’imposer des mesures conservatoires

La directive « ECN+ » permettra à l’ADLC, lorsque le texte sera transposé, de se saisir d’office en vue de prononcer des mesures conservatoires. L’ADLC ne pouvait jusqu’ici prononcer de telles mesures que lorsqu’elle était saisie par les parties d’une demande de mesures conservatoires, accessoire à la saisine au fond. L’ADLC pourra donc à l’avenir remédier de sa propre initiative à des situations urgentes susceptibles d’induire un préjudice grave et irréversible.

  1. Dans certaines affaires, l’ADLC pourra statuer sans établissement préalable d’un rapport

La loi DDADUE modifie l’article L. 463-3 du Code de commerce relatif à la procédure simplifiée. Elle permet au Rapporteur général de l’ADLC de décider que l’affaire sera examinée par l’Autorité sans établissement préalable d’un rapport, c’est-à-dire au terme d’un tour de contradictoire. La décision de recourir à la procédure simplifiée devra être prise avant même la notification de grief, qui devra alors mentionner les déterminants de la sanction encourue.

Le nouvel article prévoit un allongement du délai de réponse à la notification des griefs de 2 mois supplémentaires (soit 4 mois au total), lorsque le chiffre d'affaires cumulé réalisé en France lors du dernier exercice clos de l'ensemble des parties dépasse 200 millions d'euros et dès lors qu'au moins une des parties en formule la demande.

Enfin, la loi DDADUE abroge le plafond de 750 000 euros de la sanction pécuniaire susceptible d’être infligée dans le cadre de la procédure simplifiée. Le plafond de 10 % prévu en cas de procédure ordinaire trouvera donc aussi à s’appliquer.

  1. Un nouvel arsenal répressif mis à la disposition de l’ADLC

Les entreprises confrontées au risque d’injonction structurelle en cas de pratiques anticoncurrentielles

La directive « ECN+ » dote l’ADLC d’un nouveau pouvoir de sanction puisque l’Autorité aura, lorsque cette disposition sera transposée, la faculté de prononcer des injonctions structurelles dans le cadre de contentieux relatifs aux pratiques anticoncurrentielles. L’Autorité pourra donc ordonner au contrevenant de se défaire de certains actifs.

L’extension du domaine des injonctions structurelles applicables en outre-mer

L’ADLC peut désormais adresser des injonctions structurelles aussi bien aux commerces de détail qu’aux commerces de gros détenant une position dominante. Ces injonctions peuvent par ailleurs être prononcées dès lors que cette position dominante soulève des « préoccupations de concurrence » et non plus, comme c’était le cas jusqu’ici, en présence d’une « atteinte à une concurrence effective dans la zone considérée ».

Un risque considérablement accru pour les associations professionnelles

La directive « ECN+ » modifie en profondeur les règles applicables aux associations professionnelles. Ces associations étaient jusqu’ici exposées à un risque d’amende plafonnée à 3 millions d’euros. Une fois la directive transposée sur ce point, le plafond sera de 10 % du chiffre d’affaires annuel de l’association contrevenante ou, lorsque l’infraction porte sur l’activité de ses membres, de 10 % de la somme des chiffres d’affaires mondiaux des membres actifs sur le marché affecté par l’infraction. Il va sans dire que ces nouvelles règles, radicalement différentes des précédentes, vont avoir un impact significatif sur le fonctionnement de ces associations et entrainer une mise en conformité à marche forcée.

  1. Les entreprises confrontées aux pouvoirs accrus de la DGCCRF

Les injonctions de la DGCCRF pourront être assorties d’astreintes journalières

La loi DDADUE confère à la DGCCRF le pouvoir d’assortir ses injonctions de cessation de pratiques restrictives de concurrence d’une astreinte journalière. Cette astreinte pourra être fixée à 0,1 % du chiffre d’affaires mondial réalisé au cours du dernier exercice clos par l’entreprise contrevenante par jour de retard dans l’exécution de l’injonction.

Allègement des conditions de répression des micro pratiques anticoncurrentielles

La loi DDADUE renforce également les pouvoirs de la DGCCRF en allégeant les conditions dans lesquelles elle peut sanctionner des « micro PAC », c’est-à-dire des ententes et abus de position dominante mis en œuvre par des entreprises dont les chiffres d’affaires n’excèdent pas 50 millions d’euros à titre individuel et 200 millions d’euros en cumulé. Ces pratiques devaient jusqu’ici affecter un marché de dimension locale. Cette exigence a été supprimée. La DGCCRF peut donc sanctionner des « micro PAC » quelle que soit la dimension géographique du marché affecté.

Avec ces mesures, le législateur entend manifestement améliorer l’efficacité de la détection et de la répression des infractions au droit de la concurrence. Dans ce contexte, il devient fondamental pour les entreprises de s’assurer du respect des règles applicables. Les programmes de conformité ont de beaux jours devant eux.

Julie Catala Marty, associée chez Bryan Cave Leighton Paisner.

Les avis d'experts sont publiés sous l'entière responsabilité de leurs auteurs et n'engagent en rien la responsabilité de la rédaction de L'Usine Nouvelle.


(1) Loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l’UE en matière économique et financière.

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