[Avis d'expert] Bâtir notre indépendance numérique pour une autonomie stratégique européenne
La crise actuelle a mis l’Europe et la France face à une réalité : conserver la maîtrise de ses approvisionnements stratégiques est crucial à l’échelle d’un pays ou d’un continent. Mais elle a aussi révélé de façon plus indirecte, l’importance d’une autre autonomie fondamentale, celle du numérique, estime Servane Augier, directrice générale déléguée chez Outscale, filiale cloud de Dassault Systèmes..
Mis à jour
15 juillet 2020
Plus immatérielle et donc moins visible, notre dépendance à des systèmes informatiques étrangers rend en effet nos entreprises privées et organisations publiques particulièrement vulnérables. Nous disposons pourtant en France comme en Europe, d’une vraie richesse en matière de solutions souveraines et de talents digitaux : alors, qu’attendons-nous pour les exploiter ?
Une prise de conscience salutaire.
Le sujet de la dépendance numérique n’a rien de nouveau en Europe. Seulement, il semblait intéresser jusqu’à présent peu de monde, à l’exception de quelques grandes entreprises et des États. Le rouleau compresseur américain au marketing bien rodé, parvenait ainsi à nous faire croire que le bénéfice-risque était en notre faveur.
Mais voilà, un virus venu de Chine s’est invité dans la partie. Et, alors que nous subissions durement les conséquences liées à la perte de la maîtrise de nos circuits d’approvisionnements, cristallisée autour de la pénurie de masques ou de paracétamol, cette dépendance numérique apparaissait soudainement criante.
Du jour au lendemain, les entreprises peu ou mal préparées à gérer leur activité à distance se sont précipitées sur les solutions les plus évidentes pour eux : celles des géants américains. Faisant fi des réglementations comme le CLOUD Act, elles ont eu l’impression de ne pas avoir d’autres choix. Mais, alors que la réputation du logiciel de visioconférence roi du confinement, Zoom, était malmenée à la suite de ses nombreuses failles de sécurité, les dirigeants ont commencé à s’interroger sur les risques liés à l’utilisation de ces outils.
Oui les solutions existent
L’espionnage économique n’est pas un mythe. Ce n’est pas non plus un risque que courent uniquement les grandes entreprises. Aujourd’hui, la plupart de leurs données stratégiques sont dans le Cloud. Mais y sont-elles véritablement en sécurité ? Les 65 % d’entreprises européennes qui utilisent l’un des 4 grands Clouds publics américains (Amazon, Microsoft, Google et IBM) peuvent ainsi voir arbitrairement leurs données réquisitionnées par les gouvernements américains du jour au lendemain !
Le projet d’un hyperscaleur virtuel souverain à l’échelle européenne, GaïaX, soutenu par la France, a justement pour but de devenir une alternative sécurisée, performante et de confiance à ces acteurs étrangers. Les entreprises du numérique engagées dans cette démarche ont commencé une cartographie de l’écosystème de solutions SaaS, IaaS et PaaS souveraines. Et, un premier décompte révèle une offre immense et de qualité. Alors, comment expliquer qu’elle soit si peu exploitée par nos entreprises ?
Une offre de qualité encore trop fragmentée
Le principal problème vient du fait que cette offre reste très fragmentée et portée par des startups innovantes, souvent méconnues des entreprises européennes. Elles disposent en effet d’une puissance de frappe marketing très limitée, alors qu’elles se posent en alternatives crédibles et sécurisées aux solutions étrangères.
Certains argumenteront que ces dernières sont plus intuitives et simples à l’usage. Ce à quoi nous répondons que l’arbitrage doit aussi se faire entre facilité et sécurité. La réglementation européenne en matière de protection des données est certes l’une des plus restrictives au monde, mais elle est aussi la garante de la sécurité des informations stratégiques de nos organisations. Tous les acteurs de l’écosystème numérique européen s’y soumettent et l’intègrent dans leurs développements.
Le bon moment pour accélérer
Aujourd’hui, il ne s’agit pas tant de créer de nouvelles solutions alternatives que de faire connaître celles qui existent déjà, qui font leurs preuves et garantissent aux entreprises la souveraineté de leurs données.
L’État a un rôle à jouer en termes d’exemplarité. Il doit être leur premier client. C’est déjà le cas dans de nombreuses administrations. Mais, dans une économie de marché, c’est avant tout aux éditeurs de solutions de faire l’effort. Ils doivent se serrer les coudes, multiplier les alliances pour construire un écosystème visible pour nos entreprises. Le nombre élevé d’initiatives solidaires de la part de ces acteurs du numérique pendant le confinement a prouvé que tous les besoins pouvaient être couverts : sécurité, stockage, partage de documents, signature électronique, visioconférence…
La période que nous vivons invite à un grand optimisme. La pandémie n’a fait que renforcer l’urgence qu’il y avait à notre autonomie numérique au niveau européen. Il s’agit là d’un accélérateur dont les acteurs de la tech française doivent se saisir sans attendre !
Par Servane Augier, directrice générale déléguée chez Outscale, filiale cloud de Dassault Systèmes.
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