Agent double pour système hybride
La dixième promotion du Prix des Ingénieurs de l'Année, organisée par les rédactions d'Industrie & Technologies et de L'Usine Nouvelle, a été dévoilée le soir du 4 décembre à Paris au cours d'une soirée exceptionnelle. Chaque année ce trophée valorise la profession d'ingénieur en révélant des parcours et des réalisations remarquables dans tous les secteurs d'activité. Découvrez ci-dessous Eric Lalliard, lauréat du Prix pour l’innovation.
Ces dernières années, la vie d’Éric Lalliard a ressemblé à celle d’un agent secret. De 2010 à 2013, l’ingénieur motoriste a vécu dans la confidentialité la plus complète au sein de sa propre entreprise, PSA. En dehors de ses plus proches collaborateurs, personne ne savait où, avec qui et sur quoi l’ingénieur en chef du projet Hybrid Air travaillait au centre de R&D de Carrières-sous-Poissy (Yvelines). «Nous avions même développé une stratégie vis-à-vis des autres ingénieurs du groupe, se souvient Éric Lalliard. Quand l’un d’entre eux nous disait : “Je sais sur quoi vous travaillez” (alors que, bien sûr, il n’en savait rien), nous le confortions dans son idée et nous le flattions en lui demandant comment il avait réussi à percer le mystère ! Nous avons ainsi gardé le secret pendant trois ans !»
Les autres nominés
François Frassati, inventeur d’un système d’identification et de localisation en 3D au CEA
Nicolas Pousset, créateur de dispositifs innovants d’éclairage à LED chez Neolux
Le secret, c’est Hybrid Air : un système hybride à air comprimé. Une rupture dans le monde automobile, où tous les constructeurs utilisent des systèmes hybrides carburant–électricité. «PSA voulait mettre au point un hybride peu onéreux, qui peut s’installer sur de petits véhicules. Or le coût majeur de l’hybride, c’est la batterie et l’électronique embarquée pour la gérer. Nous avons donc cherché des alternatives», explique Éric Lalliard. PSA opte pour le stockage hydropneumatique : un stockeur d’énergie sous forme d’air comprimé, un moteur-pompe hydraulique et une boîte de vitesses automatique spécifique sont associés à un moteur EB trois cylindres. L’énergie est stockée dans des accumulateurs de pression, puis transmise via le moteur-pompe aux roues avant. La voiture peut rouler sans émission de CO2 sur quelques centaines de mètres en ville, ou baisser la consommation de son moteur sur route.
Les ingénieurs qu’il admire
Je ne peux pas choisir ! Léonard de Vinci pour son aspect visionnaire ; André Lefebvre pour les Citroën Traction et DS ; et Paul Magès, le père de l’hydraulique dans l’automobile.
«Éric est un ingénieur expérimenté, passé par les métiers, qui a aussi fait du développement de projet, souligne Christian Chapelle, le directeur chaîne de traction et châssis chez PSA. Or, quand on met au point une innovation de rupture comme Hybrid Air, il est essentiel d’avoir dans son équipe un ingénieur qui sait tenir le planning et fédérer les énergies pour industrialiser l’innovation.» Son expérience permet à PSA de s’associer à Bosch pour concevoir et développer la partie hydraulique d’Hybrid Air. En interne, le projet AQ35 mobilise 180 collaborateurs, cooptés par le directeur du projet Karim Mokaddem, et Éric Lalliard.
«C’était une aventure humaine, notre rayon de soleil dans une ambiance morose ! Je n’avais jamais connu ça», s’enthousiasme l’ingénieur en chef qui travaille pourtant comme motoriste depuis 1989 chez PSA ! Cette méthode de travail, baptisée Skunk, a été importée de l’aéronautique par l’ancien directeur R&D Guillaume Faury. «Cela a bien fonctionné, confirme l’actuel directeur R&D de PSA, Gilles Le Borgne. Si d’autres projets sont en cours avec la même méthode, cela reste caché !» Pour Hybrid Air, le sceau du secret a été levé en début d’année. Éric Lalliard assure, depuis, le service après-vente de l’innovation afin de trouver un partenaire commercial. «En 2017, Hybrid Air sera sur la route !»
Pauline Ducamp