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Le blog de Sarah Guillou

Les véhicules électriques, cas d’école du protectionnisme vert des Etats-Unis

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Les véhicules électriques, cas d’école du protectionnisme vert des Etats-Unis
La loi passée à l'été 2022 subventionne les véhicules électriques produit sur le sol américain
© White House

Malgré le coût de fonctionnement des voitures électriques qui ne cesse de grimper, les gouvernements ne ralentissent pas leur soutien à la production de véhicules électriques et de batteries. Rappelons que l’Union européenne a prévu de cesser de vendre sur son territoire des véhicules à moteur à combustion en 2035. Les subventions à la production de véhicules électriques et hybrides (VE&H), se généralisent y compris aux Etats-Unis.  

En 2021, les VE&H représentaient presqu’un quart des immatriculations de véhicules de transport de personnes, part qui a plus que doublé depuis 2017. L’Europe dominait le marché avec près de 20% mais la Chine la talonnait de très près et semble la dépasser à présent depuis 2022. Les Etats-Unis sont encore loin derrière avec 7% du marché mais ils visent les 20% en 2030.

Pour y parvenir, la loi « Inflation Reduction Act » signée par le Congrès le 16 août 2022 (Part 4, Clean Vehicles) à l’initiative de l’administration Biden, donne un sérieux avantage aux VE&H assemblés en Amérique du Nord (incluant donc le Canada et le Mexique). Chaque voiture est subventionnée 7500 dollars à l’achat via un crédit d’impôt perçu par l’acheteur. Mais dès 2024, ne seront plus éligibles des véhicules dont les composants de la batterie sont fabriqués ou assemblés dans des pays n’ayant pas d’accord commercial avec les Etats-Unis (comme la Chine). Et en 2025 ces batteries ne devront plus contenir des minerais extraits, façonnés ou recyclés dans ces mêmes pays. La loi prévoit une liste de 21 modèles éligibles pour 2022. La liste des modèles va sans doute se rétrécir en 2024 et 2025. Car même si les producteurs de batteries chinois installés en Europe pourront exporter aux Etats-Unis, ce ne sera pas possible si leurs composants viennent de Chine. 

Suivant la croissance du secteur des VE&H mais aussi des énergies renouvelables, l’industrie des batteries est en pleine expansion et reste à ce jour fortement dominée par la Chine (70% du marché), la Corée du Sud et le Japon. Etats-Unis et Europe en sont réduits à solliciter les investissements étrangers pour installer des usines. C’est ainsi que le japonais Panasonic fournit Tesla à partir de son usine américaine et que le chinois CATL investit massivement en Allemagne et en Hongrie. Le contrôle des investissements étrangers se relâche alors. Mais compte tenu de la concentration du minage des matières premières - lithium, cobalt, nickel et cuivre - et de la domination chinoise, le marché des batteries sans composants chinois est pour le moment extrêmement étroit. Les contraintes américaines pourraient donc retarder l’atteinte de l’objectif de 20% de part de marché en 2030.

Frein aux exportations

En outre, cette loi va sans doute freiner les échanges de VE&H avec les Etats-Unis et pas seulement les importations. En 2019, s’échangeaient pour 85 milliards de dollars de véhicules hybrides et électriques, le double de la valeur de 2017. En ce qui concerne les voitures électriques, l’Union européenne (hors UK) est à l’origine de la moitié des exportations mondiales s’élevant à 26 milliards de dollars, mais achète aussi 50% des exportations mondiales. Les Etats-Unis sont eux à l’origine de 30% de ces exportations (en grande partie grâce à Tesla) mais importent surtout des véhicules hybrides. S’ils octroient un avantage compétitif aux modèles assemblés en Amérique du Nord, les modèles importés seront désavantagés et les pays victimes pourraient mettre des barrières aux exportations américaines. Par exemple, Hyundai est la deuxième marque de voitures électriques la plus vendue aux Etats-Unis mais n’y possède pas d’usines. Elle a bien un projet de site mais qui ne sera opérationnel qu’en 2025. Si la Corée peut se consoler de voir évincer le concurrent chinois dans la production de batteries, elle envisage de porter plainte auprès de l’OMC en ce qui concerne ses véhicules électriques et hybrides.

Soutien aux batteries européennes

Les gouvernements européens ne sont pas en reste d’initiatives de soutien à la production de batteries. L’industrie des batteries est en effet éligible depuis 2019 au « projet d’intérêt important commun européen » qui permet de lever le contrôle sur les aides d’Etats. Mais les modalités de ce soutien consistent soit à financer la recherche et développement dans les technologies de batteries, soit à subventionner les créations d’usines sans exclure les investisseurs étrangers. Le soutien est bien guidé par des objectifs environnementaux tout autant que de territorialisation de la production de batteries.

Bien sûr, la politique de Joe Biden reste une pâle copie de la politique industrielle chinoise qui non seulement subventionne l’achat de VE&H produit localement (notamment ceux de BYD), mais contraint aussi fortement les investisseurs étrangers qui veulent pénétrer le marché chinois (partenariats dans la production électrique).

Interdépendances

Le protectionnisme vert américain va inéluctablement augmenter la mondialisation des entreprises qui sont incitées à ouvrir des filiales aux Etats-Unis, à s’allier avec de nouveaux partenaires non chinois pour leur approvisionnement, ou à investir dans les pays où la demande est attractive. Donc, paradoxalement, le protectionnisme vert américain augmente l’interdépendance productive et technologique mondiale. Et l’ironie politique ne s’arrête pas là, puisque l’objectif environnemental d’augmenter le nombre de VE&H est clairement subordonné aux enjeux géopolitiques et pourrait ne pas être atteint.

Au final, subventions ou pas, ce sont les infrastructures de recharge et les préférences des consommateurs qui feront le marché, car l’avantage concurrentiel chinois en matière de batteries pourrait bien leur permettre de compenser la subvention par un prix plus attractif. La domination chinoise de l’industrie des batteries ne disparaîtra qu’avec le dépassement de la technologie de la Chine. Ce qui est la stratégie européenne, certes, plus risquée mais plus honnête.

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