La fabrique de l'éco

Le blog de Sarah Guillou

Imaginer un consensus transpartisan sur la politique industrielle

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Imaginer un consensus transpartisan sur la politique industrielle
À l'Assemblée nationale, tous les partis veulent réindustrialiser la France, chacun à sa manière.
© Guittet Pascal

En ces temps de recherche de consensus politique à des fins de gouvernance d’une Assemblée nationale éclatée entre différentes tendances politiques, il est urgent d’identifier des sujets sur lesquels existent des consensus de politique économique, sinon dans les moyens, au moins dans les objectifs.

Tout a laissé penser pendant la campagne présidentielle que l’industrie était un sujet consensuel. Il était frappant de voir le thème de la réindustrialisation communément soutenu, tout comme celui de la problématique du déficit commercial des marchandises.

Tous les candidats regrettaient la chute des emplois industriels, enviaient la spécialisation industrielle allemande, s’inquiétaient de la dépendance aux importations chinoises pendant la crise du Covid et évoquaient l’existence de secteurs stratégiques. Sans compter que de nombreux discours d’économistes engagés réduisaient les problèmes économiques français à la faiblesse de la part de l’industrie manufacturière dans le PIB – en France, elle était de 10% en 2020 (contre 22% en 1970), alors qu'en Allemagne, singulière parmi les pays riches, elle a conservé une part à 25%.

Comme si toute la classe politique se mettait à regretter ce qu’elle n’avait pas pu empêcher en méconnaissant les tendances structurelles du progrès technique, les choix fiscalo-réglementaires des politiques et ceux de la société en matière de métiers. L’amour de l’industrie transcendait même le clivage entre mondialistes et anti-mondialistes.

Même le très mondialiste président Emmanuel Macron a déclaré, le 31 mars 2020, en visite dans une PME angevine, « notre priorité aujourd'hui est de produire davantage en France ».

Un désir commun mais pas de consensus

Pour autant, ce commun désir d'une industrie à retrouver peine à s’incarner en politique industrielle, et encore moins dans un consensus entre les partis. Du protectionnisme du Rassemblement national (RN) au dirigisme planificateur de la France insoumise (LFI), existe-t-il un terrain commun en matière de politique industrielle ?

Celle du Rassemblement national repose surtout sur une politique commerciale protectionniste. En complément, le programme du RN prône la suppression de la cotisation foncière des entreprises et d'autres impôts de production et la création d’un fonds souverain alimenté par l’épargne des ménages pour investir dans des secteurs stratégiques. Sur le plan énergétique, le RN soutient la filière nucléaire.

Le programme de la France insoumise est le plus dirigiste car il prévoit de la planification et de la nationalisation. Ainsi, il envisage la création de « monopoles publics dans des secteurs stratégiques », de revenir sur la privatisation d’Arianespace et des infrastructures de télécommunications. La sortie du nucléaire est projetée à vingt ou trente ans. Une agence de la relocalisation est souhaitée afin de rapatrier en France la production des produits essentiels.

Le programme d’En marche parle explicitement de réindustrialisation comme le résultat d’une stratégie générale de soutien aux entreprises (baisse des impôts et fonds de soutien). La suppression de la CVAE est prévue, comme l’achèvement de la réforme des impôts de production. Dans une logique plus protectionniste, le programme prévoit de privilégier les acteurs locaux dans les procédures de commande publique.

Du côté des Républicains, on retrouve la baisse des impôts de production, un fonds collectant l’épargne pour investir dans des secteurs stratégiques et le soutien à la filière nucléaire. Un plus fort accent est mis sur le rôle de la commande publique nationale et européenne qui devrait privilégier les acteurs locaux. On parle aussi de champions européens et de secteurs stratégiques.

Des convergences du centre jusqu'à l'extrême droite

Deux éléments frappent à la lecture des programmes. D’une part, la pauvreté de détails sur les moyens de réalisation d’une politique industrielle pourtant chargée d’objectifs de grande portée (à l’exclusion de la politique énergétique, souvent bien mieux précisée). D’autre part, des objectifs convergents sur un arc politique qui va du centre jusqu’à l’extrême droite.

Tous les programmes s’accordent sur l’existence de secteurs stratégiques sans qu’aucun n’en donne une définition, révélant combien ce mot-valise peut concerner n’importe quelle cible dès lors qu’elle touche aux intérêts nationaux. Reviennent cependant la conquête spatiale et celle des mers comme deux identifiants de la puissance économique française à consolider. Par ailleurs, seul LFI n’a pas de projets pour l’industrie de la défense. Toutes les formations prônent la relocalisation des entreprises, laissant supposer qu’existe un réservoir de filiales implantées à l’étranger qui attendent un changement de conditions d’exercice de leur activité pour modifier leur localisation, changement difficile, à ce stade, à anticiper.

Aucun programme communiqué au grand public ne souligne l’importance d’inscrire la politique industrielle dans une perspective européenne, notamment dans la lignée des projets importants d'intérêt européen commun (Piiec) dans les batteries, l’hydrogène ou les semi-conducteurs, et en cohérence avec la politique de recherche, développement et innovation. Cela reflète la difficulté d’inscrire la dimension européenne dans le champ de la politique française. Le programme de LFI met bien l’accent sur la recherche publique, mais en l’opposant au financement public de la recherche privée (suppression du CIR), alors que l’innovation viendra des partenariats public-privé. Aucun programme ne parle de la Chine ou, tout du moins, des enjeux de concurrence technologique, ce qui exige la dimension européenne.

Au final, aucune vision de politique industrielle ne se dessine qui se fonderait sur une réflexion – qui, elle, existe – des enjeux technologiques à venir. Cependant, on peut inférer des programmes une majorité absolue en matière d’engagement dans la filière nucléaire, de baisse des impôts de production et sur la création d’un fonds d’investissement dans les secteurs stratégiques alimentés par l’épargne des particuliers. Il existe par ailleurs un consensus sur l’essentialité de la dimension maritime de l’économie française, qu’il faut renforcer. Il sera intéressant d’observer ce qu’il restera de ces intentions programmatiques dans la prochaine assemblée.

 

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