Tout comme les commentaires outragés sur les dividendes, les rémunérations des patrons des grands groupes font l’objet d’identiques et régulières accusations d’indécence. Dernier scandale en date, celui associé à la rémunération de Carlos Tavares qui se monte en 2022 à 23,5 millions d’euros. La réalité du scandale doit se jauger à l’aune de la productivité de celui qui reçoit la rémunération. Car la justification économico-comptable du salaire est la productivité, c’est-à-dire l’accroissement de production que permet les heures de travail du salarié.
La rémunération de Carlos Tavares est en nette augmentation par rapport à 2021. Cela intervient alors que le groupe Stellantis a affiché un bénéfice net record de 16,8 milliards d’euros en 2022 et une marge opérationnelle de 13% (proche de celle des groupes automobile allemands). Avec près de 300 000 salariés dans le monde depuis la fusion, le groupe ambitionne de se hisser sur le podium des constructeurs mondiaux. La rémunération de Carlos Tavares est en majorité assise sur des objectifs, donc variable, et en partie constituée d’actions, ce qui aligne les intérêts des actionnaires avec ceux des dirigeants.
Tavarès, "le Mbappé de l'automobile" ?
Il fait sans doute partie des PDG les mieux rémunérés au monde, ce qui le rapproche de Kylian Mbappé qui est le joueur de football le mieux payé au monde. La comparaison a été lancée par le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux qui voit en Tavares le « Mbappé de l’automobile ». Mais bien que flatteuse, la comparaison est, à bien y regarder, extrêmement inopportune, pour au moins deux raisons.
La première est que le salaire de Mbappé représente une proportion bien plus élevée des revenus de son entreprise, le PSG, que cela n’est le cas pour Tavares. Certaines estimations, incluant les primes annuelles de reconduction du contrat, jugent que le salaire du joueur équivaudrait à un quart des revenus du PSG. Et si le PSG est loin d’atteindre le nombre d’emplois de Stellantis, cette proportion fait peser sur les finances du club une responsabilité considérable sur un seul salarié.
La seconde est sans doute la plus importante : la contribution de Tavares à Stellantis (sa productivité) est sans doute plus proche de son salaire, que ne l’est celle de Kilian Mbappé. Selon les estimations, le salaire de ce dernier atteint au moins le triple de celui de Carlos Tavares et cela alors que les revenus du PSG (654 millions d’euros) n’équivalent pas le centième du chiffre d’affaires de Stellantis (180 milliards d’euros).
Il est toujours très compliqué de connaître la productivité d’un salarié, car on ne connaît pas le contrefactuel, c’est-à-dire la productivité de l’entreprise si un autre salarié avait pris sa place, toutes choses égales par ailleurs.
La contribution du management
Quelle est la contribution de Carlos Tavarès ? Elle relève du management, qui s’avère être bien plus clé à la productivité de l’entreprise et donc à la détermination de sa profitabilité et de ses revenus qu’on ne le pense souvent. Et bien plus peut-être que ne l’est le rôle d’un seul joueur. Bien sûr il n’y a pas de management efficace sans un ensemble de collaborateurs de tous les niveaux hiérarchiques qui soient eux-mêmes efficaces, mais le rôle de chef d’orchestre et d’impulsion et de choix stratégiques est sans doute majeur.
Cela n’est pas contredit par les rares évidences empiriques dont on dispose sur l’impact des pratiques managériales sur la productivité des entreprises. Les résultats des enquêtes portant sur de nombreux pays montrent qu’une grande partie de la différence de productivité entre les pays s’explique par les pratiques managériales. Autrement dit, pour augmenter la productivité d’une économie, l’augmentation de la qualité du management est autant à privilégier que les investissements dans les technologies.
Ainsi, la justification du salaire de Carlos Tavares doit plus à sa contribution à la productivité qu’à sa rareté sur le marché des managers, rareté qui justifie, elle en partie, le salaire de Mbappé. Cependant dans les deux cas, les montants de salaires sont issus des pouvoirs de négociation des salariés eux-mêmes vis-à-vis de ceux qui paient, pouvoirs qui dépendent de leur talent, de leur rareté, mais aussi de la disposition à payer des actionnaires qui, eux-seuls in fine, sont responsables de l’éventuelle indécence.
