À l’heure où la maltraitance animale devient un sujet prégnant, les organisations de défense de nos amis les bêtes ne semblent pas s’inquiéter du sort des tardigrades, voués, au nom de la recherche, à des manipulations d’utilité plus que discutable.
Les tardigrades ont été l’objet de deux expériences récentes dont la justification est pour le moins contestable. On peut sourire à chacune d’elles, qui pourraient faire l’objet d’une BD humoristique (ce fut d’ailleurs ma première réaction), mais après réflexion, les conséquences peuvent être moins drôles (et pas seulement pour les animalcules).
Le tardigrade est un genre d’arthropode à huit pattes de 1 mm de long, pouvant résister au vide spatial, à des températures allant de - 273 °C (proches du 0 absolu) à plus de 300 °C, à la déshydratation, au manque d'oxygène, aux rayons X, etc., certains pouvant se reproduire seuls. Il n’est donc pas étonnant que la recherche s’y intéresse.
La sonde israélienne Beresheet, qui s’est écrasée sur la Lune en avril 2019, emportait un conteneur conçu par Arch Mission Foundation (organisation à but non lucratif visant à diffuser les connaissances humaines dans le système solaire). Le conteneur comportait presque tout le contenu de Wikipédia, mais aussi un millier de tardigrades. Les capacités extraordinaires de ces bestioles leur ont probablement permis de survivre par la cryptobiose. Elles se recroquevillent et remplacent leur eau par un sucre en réduisant leur processus métabolique pratiquement à néant et peuvent se réveiller des décennies plus tard en étant réhydratées. Arch Mission Foundation espère d’ailleurs les récupérer pour les réhydrater, sur Terre ou ailleurs...
Les dangers potentiels de contamination de la Lune par des créatures terrestres, aussi inoffensives et passives d’apparence soient-elles, ne semblent guère avoir effleuré la conscience des organisateurs de cette mission. Dommage ! Le plus incroyable est qu’ils n’aient demandé aucune autorisation gouvernementale et n’aient pas été condamnés, surtout quand on voit les précautions extrêmes prises par la Nasa et l’ESA pour s’assurer qu’aucune bactérie ou virus apporté par les sondes martiennes ne viendra polluer l’atmosphère de la planète rouge. Il est vrai que depuis une décennie, l’humain exporte sur notre astre nocturne ses passions et ses travers [1], alors pourquoi pas aussi des tardigrades ? Pour commencer du moins…
Mais il y a mieux. En décembre 2021, une équipe internationale de scientifiques [2] réalisait une expérience surprenante : l’intrication de tardigrades avec des qubits superconducteurs. Comme quoi l’imagination n’a pas de limite, cette fois grâce aux progrès de la physique quantique, domaine d’investigation devenu majeur [3]. Au préalable : en informatique quantique, un qubit est un système quantique à deux niveaux (où se superposent deux états de base) représentant la plus petite unité de stockage d'information quantique, plus grande que celle contenue dans un simple bit classique, et partiellement accessible lors de la mesure (non-initiés s’abstenir). L’équipe a incorporé trois tardigrades dans deux circuits électriques intriqués [4] et les a exposés pendant 420 heures aux conditions du vide spatial (température proche du 0 absolu et pression quasi nulle). Résultat : la fréquence de résonance des qubits et des tardigrades pouvait être modifiée de façon synchrone. Après les tests, un cobaye a pu être progressivement « ranimé » (mais pas les deux autres, paix à leur âme de tardigrade).
En 2018 déjà, des chercheurs avaient constaté que certaines bactéries issues de la photosynthèse pouvaient être intriquées avec des photons. En manipulant les photons dans une pièce « miroir » de celle où étaient logées les bactéries, on pouvait donc, a priori, agir sur ces dernières. L’expérience de 2021, elle, a reçu de vives critiques :
- Douglas Natelson (Rice University, Texas) prévient : « Ces tardigrades n’étaient que de l’eau surgelée et on a simplement montré qu’ils se sont comportés comme des diélectriques, il n’y a aucune véritable intrication. »
- Ben Brubaker (ancien physicien) acquiesce : « Coupler un grain de poussière à un qubit aurait eu le même effet et n’amène rien aux lois de l’électromagnétisme connues depuis cent cinquante ans. »
J’avoue ne pas savoir s’il vaut mieux rire ou s’inquiéter de tout cela. Rêvons un peu : la conjugaison de toutes ces opérations laisse entrevoir (à long terme, ou à moyen terme, qui sait ?) des nuées de tardigrades « qubités » et « télétransportés » en vue de la colonisation de planètes de notre système solaire ou même extrasolaires. Étape suivante : apprendre à ces tardigrades voyageurs à chanter, pour qu’ils puissent accueillir sur ces planètes de futurs humains eux aussi « qubités » et « télétransportés » en leur entonnant le cantique des quantiques…
[1] J’avais évoqué ce sujet dans deux billets de ce blog : « Objectif Lune : money, money, money » (juin 2020) et « La Lune décrochée » (décembre 2020)
[2] Composée de chercheurs de Singapour, Malaisie, Danemark, Royaume-Uni et Pologne
[3] Thème évoqué dans mon billet de janvier dernier « La certitude n’est pas un dogme »
[4] Lorsque l’état quantique d’un des photons d’une paire de photons dits « intriqués » est modifié, celui de l’autre photon est instantanément modifié, quelle que soit leur distance.