La gestion des projets complexes

Le blog de Rodolphe Krawczyk

Ne pas confondre décision et... injonction

Publié le

Ne pas confondre décision et... injonction
On ne demande pas aux managers d'être devins mais d'être rationnels.
© Pixabay

Les difficultés vécues par les équipes à certains moments critiques du cycle de développement d’un projet complexe donnent parfois lieu à des moments intenses où se révèle (ou pas) la qualité des vrais chefs.

En plus de quatre décennies de carrière dans le spatial, j’ai eu maintes occasions de participer à des réunions « musclées », notamment lors des dernières semaines précédant une échéance importante, comme la remise d’une offre ou la tenue d’une revue majeure avec le client. Dans ces circonstances où le respect du calendrier à tout prix (ou presque) reste une contrainte intangible, vient toujours un moment où une décision doit être prise, « la » décision pourrait-on dire : c’est là que se découvrent toutes les nuances (aussi variées qu’enrichissantes) de la palette de l’attitude managériale. Cela s’applique à la plupart de nos industries où les projets sont pilotés par le planning, une approche devenue une constante de notre monde moderne, et que je n’ai de cesse de combattre surtout lorsqu’elle est poussée à l’extrême.

La décision… voilà un maître-mot sur lequel j’avais publié trois billets : dans « Le management par décrets : la méthode Coué "top-level"» , j’écrivais que les contraintes calendaires conduisent souvent le management à adopter des décrets au lieu de décisions mûrement réfléchies (et consensuelles). Dans « Le confort (pour certains) des "grandes" décisions »  , je concluais que l'éthique n'est manifestement pas le souci premier de nombreux "top level" managers. Enfin, dans « La paralysie décisionnelle des dirigeants » , je me demandais si la peur de décider de nos dirigeants était un mal spécifiquement français ; je répondais par l’affirmative, mais à l’issue de mes exercices d’analyses de risque pratiqués ces deux dernières années avec de nombreux partenaires étrangers, je serais tenté de moduler ma position.

C’est tout récemment que j’ai découvert le fil conducteur de ces billets : il s’agit de ce qu’Isabelle Barth, spécialiste en sciences du management, appelait dès 2019 « La kakistocratie  ou le management par l’incompétence »... une révélation ! Les raisons essentielles de la promotion des « mauvais » ? Ils restent loyaux et ne cherchent pas à détrôner ceux qui les ont placés…Mais cette spécialiste va plus loin en déclarant que « la promotion par l’incompétence est la démonstration qu’on ne peut rien faire sans le système » : qualités individuelles et performance globale sont ignorées, du moment que le système survit.

 

 

Le kakistocrate ne décide pas : il ordonne. La décision obéit à un processus intellectuel complexe où interviennent toutes les qualités qu’on est en droit d’attendre d’un « leader » : capacités d’analyse et de synthèse, vision stratégique, charisme, pratique du consensus. Or, de plus en plus fréquemment, nos modèles industriels mettent en évidence l’opposé : focalisation sur les chiffres, qui souvent ne reflètent pas la valeur proprement dite et n’offrent que des projections à court terme, autoritarisme, entraînant la défiance du « collaborateur », terme flatteur qui s’est généralisé depuis une décennie, et permet de masquer le fait qu’un employé n’est au fond qu’un « utilisé » et non un « collaborant ».

Une décision engage l’avenir : elle doit se prendre tôt, et non pas « en mode panique », quand tous les fondamentaux d’une vraie décision disparaissent au profit de considérations arbitraires, débouchant sur une injonction. Je ne parle pas de « bonne » décision, car seul l’avenir peut confirmer ou infirmer le bien-fondé d’une décision : on ne demande pas aux managers d’être devins, mais seulement d’être rationnels et de mettre en œuvre les compétences pour lesquelles on devrait les choisir… ce qui, d’après Isabelle Barth, est malheureusement loin d’être le cas. L’adage qu'il vaut mieux une mauvaise décision que pas de décision devrait donc être nuancé : d’abord parce qu’une décision ne peut pas être bonne ou mauvaise tant qu’on n’en a pas mesuré ses effets, ensuite parce qu’un diktat peut se révéler pire qu’une absence de décision, en particulier lors des incessantes réorganisations imposées et mises en place sans expliquer pourquoi les précédentes n’ont pas fonctionné ; il est vrai qu’elles s’accompagnent des inéluctables modifications d’organigrammes hiérarchiques offrant l’opportunité de promouvoir de nouveaux kakistocrates… Et le cercle est bouclé.

Pour terminer sur une note d’humour, je m’appuierai sur le titre d’un album de dessins de Voutch Le pire n’est même pas certain, dont je prendrai le contrepied en constatant que dans les processus de décision de notre monde industriel moderne, le pire est désormais certain.

Créez votre compte L’Usine Connect

Fermer
L'Usine Connect

Votre entreprise dispose d’un contrat
L’Usine Connect qui vous permet d’accéder librement à tous les contenus de L’Usine Nouvelle depuis ce poste et depuis l’extérieur.

Pour activer votre abonnement vous devez créer un compte

Créer votre Compte