Le new space, censé remodeler le paysage spatial, n’en finit pas d’être malmené dans une tempête financière où les bourrasques s’enchaînent à une fréquence supérieure à celle des révolutions technologiques espérées.
Depuis près d’une décennie, on ne peut presque plus jamais parler d’espace sans mentionner le new space, dont les succès ne sont pas toujours à la hauteur du buzz qui accompagnent nombre de déclarations tous azimuts relatives à ce qui n’est au fond qu’un retour du « better-faster-cheaper », que j’ai mentionné plusieurs fois dans ce blog et qui a connu son heure de gloire (et de déclin) à la fin du siècle dernier.
Le problème du new space est qu’il est porté essentiellement par des start-ups dont les besoins en financement ne peuvent être couverts que par les fameuses SPAC, (petites) sociétés spécialisées dans l’apport de fonds et dont j’avais « égratigné » la démarche dans un billet paru en janvier 2021 « La frénésie des acquisitions : Huge is beautiful ». Il se trouve que ces SPAC commencent à trouver justement que le retour sur investissement se fait attendre, situation que j’avais évoquée dans un billet paru en décembre 2021 « Le new space sera-t-il à l'origine d'une nouvelle bulle financière ? », et qui depuis, ne s’est pas franchement améliorée.
Chutes en bourse
Dans le numéro du 27 juillet de la revue Aviation Week, le rédacteur en chef Michael Bruno dresse un constat inquiétant : les actions des sociétés soutenues par les SPAC viennent de subir, en 4 mois consécutifs, des pertes impressionnantes. Quelques chiffres de pertes qui en disent long : Astra - 60% (j’y reviens plus loin), BlackSky - 46%, Mynaric - 33%, Redwire - 40%, Rocket Lab - 62%, Satellogic - 41%, Spire Global - 56%, Telesat - 42%, Terran Orbital - 50% et Virgin Galactic - 50%.

Le contraste est saisissant entre le tapage médiatique mis en œuvre par toutes ces sociétés désormais bien connues de tous ceux qui s’intéressent à l’actualité spatiale et la réalité de leur comptabilité. Comme l’écrit Michael Bruno à propos de la capacité à réaliser ce qui a été promis : « Demonstrating that ability to execute is going to be critical » (démontrer la capacité d’exécution va devenir critique). Il avait déjà tiré la sonnette d’alarme dans le numéro du 10 janvier d’Aviation Week avec un article intitulé « Falling stars : Space SPACs come back to Earth en 2022 » ( Etoiles déchues, les SPAC de l’espace reviennnent sur terre), On ne peut être plus clair. Dans la revue SpaceNews de janvier 2022, Jeff Foust, analyste aérospatial, dans son article « Space SPACs look to rebound in 2022 » ( les SPAC de l’espace cherchent à rebondir en 2022) exprimait cependant l’espoir, assorti de réserves, d’une remontée cette année des actions des sociétés citées. Espoir déçu ?
Déboires
Le lanceur Astra est l’une des meilleures illustrations des déboires de ces startups : le 13 juin, une panne moteur du 2éme étage empêchait la satellisation des 2 cubesats de la NASA (retombés en mer) ; c’était le 8° échec en 10 lancements. Mauvaise affaire pour Astra (et pour la SPAC Holicity avec qui elle avait fusionné en juillet 2021), surtout que la société projette de développer un lanceur plus puissant et d’assurer une cadence annuelle de tirs de 300 pour asseoir sa rentabilité. Ténacité ou inconscience ?
Un autre exemple édifiant est la première démonstration du remorqueur spatial Vigoride de Momentus (dont l’action avait chuté de 60% début 2022) lancé fin mai, et qui vient d’échouer en juin : sur la dizaine de picosatellites montés sur Vigoride pour être amené sur leur orbite définitive[1], seuls deux ont pu être mis à poste, du fait d’une erreur dans la définition de la fréquence de l’équipement de télécommunications et surtout du non-déploiement du générateur solaire.
Vers de nouvelles fusions ?
Ces échecs ne vont pas faciliter la poursuite indéfinie des financements : pourtant, combien d’échecs a subi Elon Musk avec son premier lanceur avant de réussir sa percée avec SpaceX ? Mais lui a su faire preuve de patience, ce qui n’est pas le cas des SPAC dont la finalité reste le profit à court terme et qui oublient un peu facilement que la mise au point d’une nouvelle technologie ne se décrète pas d’un claquement de doigts et sur la base de projections financières.
Conséquence possible et plausible, envisagée par (à nouveau) Jeff Foust en février dernier et Michael Bruno en mai dernier : le déclenchement d’une vague de fusions et acquisitions, ce qui se justifie en termes de logique capitalistique, mais dans ces conditions, adieu l’esprit new space, et rebonjour old space (lequel a tout de même acquis quelques belles lettres de noblesse en à peine plus d’un demi-siècle).
Ces difficultés financières du new space vont-t-elles donc le conduire à sa perte ou à rebondir ? L’avenir proche nous le dira. En attendant, du chemin de roses prédit pour l’avènement du new space, les entreprises semblent n’en avoir vu pour le moment que les épines…
[1] ce que ne peut pas faire le lanceur Falcon 9 de SpaceX qui amène l’ensemble de sa charge utile sur une orbite donnée : à chaque élément de cette charge utile d’assurer sa mise sur la bonne orbite, ce qui nécessite l’utilisation de remorqueurs type Vigoride, dont beaucoup sont en développement dans diverses entreprises qui ont « flairé » un marché potentiellement « juteux »