La gestion des projets complexes

Le blog de Rodolphe Krawczyk

Le sans-faute du James Webb Space Telescope : quelles leçons en tirer ?

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Le sans-faute du James Webb Space Telescope : quelles leçons en tirer ?
© Nasa

Le JWST a publié dès le 12 juillet ses premières images : elles sont époustouflantes, d’autres suivront, une moisson de découvertes scientifiques en cosmologie et en astrobiologie nous attend. Et pourtant, cette mission s’était avérée au fil du temps un pari technique et technologique presque insensé : nous avons de belles leçons à tirer de cette réussite spectaculaire !

En septembre 2021, j’avais publié dans ce blog le billet « Et si le James Webb Space Telescope échouait ? » qui énonçait une grande partie de tous les problèmes possibles (la plupart mécaniques) de ce gigantesque télescope. J’avais appris peu de temps après que la NASA elle-même avait identifié plus de 300 causes de pannes potentielles. Ce que je craignais surtout, c’était qu’en cas d’échec, tous les grands programmes spatiaux scientifiques subissent un coup d’arrêt pour au moins une décennie. Et si l’on m’avait demandé de parier sur la réussite totale de la mission, sans le moindre incident… eh bien, heureusement que personne ne me l’a proposé ! C’est donc avec beaucoup de plaisir que je publie, une fois n’est pas coutume, un billet résolument optimiste !

De toutes les publications sur le JWST dont nous sommes (à juste titre) inondés, je n’en citerai que trois, qui à elles seules en disent long sur les premiers résultats :
• Webb delivers deepest image of Universe yet.
• Cosmic cliffs and dancing galaxies : Webb begins new era of astronomy.
• Canada’s instrument on the Webb Space Telescope confirms water in the atmosphere of the WASP-96 b exoplanet.

Alors, parmi les (nombreuses) leçons à tirer, j’ai retenu les suivantes, qui me semblent d’autant plus importantes que le coût et même l’intérêt des grands projets sont de plus en plus souvent critiqués.

Tout d’abord, si le JWST a « emplafonné » de plus de 10 fois son budget initial (notoirement sous-évalué) pour arriver à environ 10 milliards de dollars, il faut se souvenir que la guerre d’Afghanistan a coûté aux contribuables américains plus de 2000 milliards de dollars : l’équivalent de 200 JWST, avec un bilan très certainement moins positif que celui déjà obtenu par le JWST en quelques jours.

Ensuite, dans des programmes aussi complexes et aussi intrinsèquement risqués, la tenue du planning ne doit pas être le levier primordial de gestion : l’équipe du JWST avait demandé un an de plus pour résoudre les problèmes rencontrés lors des essais acoustiques et ne pas répéter l’erreur funeste commise sur le Hubble Space Telescope, ce que j’avais relaté dans un autre billet de ce blog publié en septembre 2018 « La fin de la soumission au dieu planning ? ». La « rallonge » associée à ce retard était de 1 milliard de dollars. Le bon sens l’avait emporté : mieux valait dépenser 1 milliard de dollars de plus que de risquer d’en perdre 10 d’un coup. Rappelons qu’en 2014, alors que le coût de la mission avait déjà atteint 8 milliard de dollars, la (très combative) sénatrice démocrate américaine Barbara Mikulski avait déclaré à un auditoire d‘employés du JWST : « I saved you from the Tea Party », ce fameux groupe républicain qui voulait stopper les travaux pour améliorer la situation financière du pays. Merci Barbara !

Dans son livre « Identifying and managing project risk », Tom Kendrick affirme que les grands projets sont voués à l’échec quand les techniciens qui mettent en garde contre les risques ne sont pas écoutés par les managers. Sur le JWST, les techniciens ont eu gain de cause et ont fait tout ce qu’ils pouvaient au sol pour valider le fonctionnement du télescope.

N’invoquons pas non plus la chance : que celle-ci ait joué sur les 178 mécanismes du télescope ne tient pas le moins du monde statistiquement parlant.

Et oublions les erreurs de management, si tant est qu’il y en ait eu vraiment (la critique est aisée…) : les résultats sont là, et c’est bien ce qui compte.

Bien sûr, tout n’est pas encore gagné :
• Des pannes peuvent se produire en orbite, c’est le risque de tous les satellites : mais jusqu’à présent, tout fonctionne à merveille, il est donc peu probable qu’un problème majeur affecte toute la mission (le JWST comporte 4 instruments).
• Sur les 5 impacts de météorites reçus depuis la mise à poste, l’un s’est révélé plus important que ce qui était prévu par les modèles ; mais suffisamment de marges ont été prises à ce niveau pour garantir les performances attendues.

Le futur des prochains grands programmes scientifiques, au moins aussi ambitieux que le JWST, n’est donc pas mis en cause, et leur succès dépendra de l’application des leçons apprises à ce jour. Elles tiennent en deux phrases qui sont tout à l’honneur de l’équipe du JWST :
• Failure is not an option.
• Yes they could.

Un immense bravo donc à cette équipe qui m’a redonné un peu de cette confiance en l’homme que j’avais fini par perdre !

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