Le ralentissement des innovations scientifiques au XXIe siècle commence à inquiéter les spécialistes. Mais faut-il s’en étonner ?
Un article du New York Times de janvier proclamait : «What happened to all of science’s big breakthroughs?». Trois universitaires (du Minnesota et de l’Arizona) ont annoncé dans la revue Nature que les dernières percées considérées comme majeures (vaccins «miracles», smartphones, lanceurs réutilisables, entre autres) ne constituent en fait que des progrès incrémentaux par rapport aux véritables innovations des décennies passées, avec une tendance à la décrue significative depuis 1945. Les scientifiques sont désormais plus enclins à avancer progressivement qu’à réaliser des «bonds» intellectuels, malgré les moyens octroyés à la recherche en sciences et en technologies.
Il est vrai que les universités et laboratoires sont soumis à une pression croissante pour «publier ou périr». On sait que la quantité n’a jamais été gage de qualité. Or, l’intérêt des travaux des trois universitaires est qu’ils ont adopté une approche quantifiée novatrice : calculer, dans les publications scientifiques, le nombre de renvois à d’autres publications. A raison de plus d’un million par an, ils en ont analysé plus de 50 millions parues entre 1945 et 2010, à l’aide d’un indice CD (de consolidation à disruption). Ils ont constaté que plus il y avait de renvois, plus l’avancée relevait de la routine incrémentale (qui conduit certes à des progrès, mais limités). Exemple révélateur : l’épissage des gènes trouvé dans les années 1970 n’a pas fait l’objet du tapage médiatique du premier vaccin mRNA (contexte Covid oblige). Les vaccins de ce type s’appuient sur cette découverte, mais ont demandé près d’un demi-siècle pour leur mise au point.
Un autre universitaire (de Chicago) a déclaré : «Notre science est très ordonnée. Nous parions avec assurance dans les domaines où nous investissons, mais pas sur des choses fondamentalement nouvelles et potentiellement disruptives. Nous avons besoin d’un peu moins d’ordre et d’un peu plus de chaos» (ce qui rappelle un billet de ce blog paru en septembre 2018 «Le management de l'innovation… un nouvel oxymore?»).
Le problème est que les auteurs du rapport de Nature ne dressent qu’un constat, sans chercher à identifier les causes de cette chute libre dans les découvertes scientifiques. Une fois de plus, on constate à coups de statistiques, mais le plus important, à savoir la détermination des causes de cette chute qui est le préalable essentiel à la mise en place de solutions, n’est pas au rendez-vous. Une dérive que j’avais dénoncée dans le billet «Le constat au détriment de l’analyse» paru en novembre 2022. Et pourtant…
Coïncidence, la une de la revue de mon école d’ingénieurs de mars-avril posait cette question : «Les métavers : fiction ou réalité?». Selon Wikipédia, un métavers est un monde virtuel connecté à internet et perçu en réalité augmentée. Vous avez dit «réalité» ? Mais quelle réalité ? Et pourtant, ils sont de moins en moins fictionnels, donc bien réels, la revue citant les développements récents dans ce domaine, appelés à prendre de plus en plus d’importance dans nos entreprises, surtout celles où la complexité des technologies demande le support d’outils sophistiqués. Or, qui dit métavers dit numérisation et intelligence artificielle, devenues toutes deux omniprésentes car de plus en plus indispensables, mais non moins dangereuses, ce que j’avais expliqué dans le billet «Numérisation, intelligence artificielle et maintenant… Metaverse !!!» paru en août 2021. Les métavers : la réalité de l’irréel ?
Si la finalité de la «machine» est d’aider l’homme, en particulier dans les activités physiques ou intellectuelles, on peut craindre qu’elle finisse par le remplacer purement et simplement. La première étape sera l’utilisation de moins en moins fréquente et intense de sa matière grise. Le plus grave est que ce phénomène n’affecte pas seulement le vulgum pecus, mais aussi les chercheurs, à en juger par le rapport de Nature. La conclusion du billet «Intelligence artificielle : bonjour ! Intelligence naturelle : adieu !» paru en février était-elle prémonitoire et euphémique ?
En 2018, la baisse du QI dans les pays développés, de génération en génération depuis quarante ans, a conduit deux économistes norvégiens à signaler le rôle de l'environnement culturel, notamment le déclin des valeurs éducationnelles, la dégradation du système éducatif et scolaire, la télévision et les médias, la détérioration de l'éducation au sein des familles. En cinq ans, l’explosion des réseaux sociaux conjuguée aux révolutions technologiques de la numérisation et de l’IA, avec les métavers comme couronnement, ont bouleversé l’environnement culturel au point d’accentuer cette baisse du QI, même chez les plus brillants qui se contenteront d’avancées incrémentales de portée inversement proportionnelle à la quantité de données qu’ils auront compulsées (à l’aide d’algorithmes sophistiqués, cela va sans dire).
Alors, devant cette dégradation de la qualité de la recherche scientifique que révèle la diminution du nombre de percées scientifiques : recherche coupables désespérément ? Même pas… Il faut dire qu’ils sont tout désignés.