L’aviation poursuit sa mutation sous la pression écologiste. La propulsion électrique semble une voie prometteuse, mais certains s’impatientent déjà de la lenteur de ses progrès.
Pour décarboner l’aéronautique, les principales voies explorées sont les suivantes :
- Les SAF [1], carburants durables tirés de la biomasse. S’ils sont utilisables à la place du kérosène sans modification notable des réacteurs, les avis sont partagés tant sur leur impact environnemental global que sur leur capacité à remplacer complètement le kérosène.
- L’hydrogène. Solution aussi séduisante qu’exigeante en termes de développements technologiques et de transformation des infrastructures aéroportuaires, il présente néanmoins des effets négatifs qui n’empêchent pas les gouvernements européens (surtout français et allemand) de promouvoir cette filière à coups de milliards d’euros. J’avais évoqué cette problématique dans un billet publié en octobre 2020, « L'avion à hydrogène : entre rêve (ou cauchemar ?) et réalité (ou lubie ?) ».
- L’électricité. Elle est soutenue par un large éventail d’entités comprenant des agences nationales comme la Nasa et l’Onera, des groupes industriels comme Airbus, et une multiplicité de start-up en tout genre, certaines très impliquées dans les taxis volants censés révolutionner le transport urbain, du moins sur le papier. C’est un sujet que j’avais abordé dans un autre billet publié en juin 2021, « Dans les projets complexes, il y a parfois loin de la coupe aux lèvres ». Ce qui semble admis de façon quasi unanime est que cette voie restera limitée, au moins à moyen terme, aux trajets courts (donc, au mieux, aux court-courriers), pour une raison très simple : celle du stockage à bord de l’énergie électrique.
- Et les solutions hybrides, combinant par exemple hydrogène et électricité, alliant ainsi les avantages (et les inconvénients) des deux solutions.
Une fois de plus, rien n’est simple, et les efforts plus ou moins importants pour mettre au point toutes ces technologies ont tendance à être masqués par des déclarations enthousiastes tenant davantage du tapage médiatique que de la réalité technique. Mais il y a plus grave : on a parfois l’impression que la communication bénéficie de plus de moyens que la technique, laquelle finit par marquer le pas. C’est en tout cas l’opinion d’un journaliste américain, Graham Warwick, à propos des retards rencontrés par MagniX, fabricant américain de moteurs électriques pour l’aviation, dans le cadre de la certification d’un nouveau moteur destiné à l’hydravion Caravan (Cessna) :
- Quand on cherche sur internet des informations sur MagniX, on y trouve nombre de présentations et de vidéos apparemment convaincantes sur sa maîtrise des moteurs électriques pour l’aviation.
- Mais dans le numéro du 24 janvier 2022 d’Aviation Week, Graham Warwick préconisait à MagniX d’aller droit au but, « en arrêtant de tester des drones à échelle réduite, en construisant un avion de taille réelle et en le faisant voler, quitte à ce que les batteries brûlent, parce que c’est comme ça qu’on apprend ». Et de conclure par un tranchant « Talk less, do more ! »
Une assertion qui a de quoi surprendre, surtout chez les Américains réputés pour leur approche pragmatique, dite « hands-on », érigée en religion par Elon Musk pour les lanceurs de SpaceX, lequel semble appliquer à la lettre la consigne de Graham Warwick. Il est vrai que l’aéronautique et le spatial, notamment le fameux new space, regorgent de start-up dont les sites sont fréquemment aussi grandiloquents que les réalisations effectives sont squelettiques, voire inexistantes (mais très prometteuses). Cela dit, peut-on imaginer les équipes de MagniX passer leur temps à tergiverser au lieu de travailler ? La pique de Graham Warwick est quand même un peu rêche…
Soyons clairs : de nos jours, le buzz fait partie intégrante de nos modes de communication et les industriels ne peuvent y échapper. Mais si l’on prend un peu de recul, il ne fait aucun doute que l’avion électrique aboutira, et même les avions électriques, car les techniques de propulsion (depuis le monomoteur jusqu’aux hélices soufflantes réparties sur l’aile, en passant par les rotors à axe vertical) sont suffisamment différentes pour que plusieurs types d’avions électriques voient le jour. C’est juste une question de patience. En attendant, serait-ce à cause de cette variété des techniques de propulsion qu'il est victime d’un buzz qui semble démesuré ? Et que cette situation conduit certains « censeurs » à mettre les entreprises sur la sellette lorsque les problèmes (normaux) de développement se manifestent, en les accusant de trop parler et de ne pas assez travailler ? Et à alimenter ainsi le buzz ? Comme toujours, la critique est aisée…
Quand on sait que l’avion électrique sera, comme la voiture électrique, presque totalement silencieux, il est paradoxal (et amusant) de constater à quel point il fait autant de bruit aujourd’hui dans la presse.