La gestion des projets complexes

Le blog de Rodolphe Krawczyk

Grandes gueules et petites idées

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Grandes gueules et petites idées
© Rodolphe K.

Dans la galerie des personnes remarquables qui émaillent la vie des entreprises, je ne pouvais pas ne pas évoquer ceux dont le verbe haut n’est pas forcément en adéquation avec la qualité de leur cortex cérébral.

Je n’ai pas le génie d’un La Bruyère pour décrire, comme il l’a fait à son époque avec de multiples portraits de son environnement social, tous les caractères que l’on peut rencontrer dans une entreprise moderne. Certains méritent néanmoins d’être cités.

En avril dernier, je rendais hommage, dans un billet aux « discrets » dont le travail se révèle bien souvent un rouage essentiel, et pas toujours reconnu de la marche d’une entreprise. J’évoquais, dans un autre billet sur « les divas de d'ingénierie », le besoin de disposer de ces talents à l’ego un peu boursouflé, aux accents d’une féodalité surannée.

Il serait dommage d’oublier une autre catégorie que l’on retrouve fréquemment dans la plupart de nos entreprises : ceux dont la tonalité vocale se situe très au-dessus de la moyenne, le nombre de décibels qu’ils émettent devant leurs collaborateurs pouvant atteindre des valeurs qui leur confèrent le privilège d’être considérés comme dotés d’une voix dite de stentor. J’utiliserai l’expression familière de « grandes gueules » pour les désigner.

Voici quelques petites règles empiriques les concernant :

  • Une grande gueule n’est par essence pas un discret.
  • Une diva peut être une grande gueule.
  • Inversement, une grande gueule n’est pas toujours une diva (elle l’est rarement).
  • Mon expérience me porte à croire que si l’on désigne dans une entreprise par NH le nombre de discrets (ou humbles), par ND le nombre de divas et par NG le nombre de grandes gueules, on a l’inégalité suivante :

NH >> NG >> ND

 

Et voici quelques-unes des caractéristiques comportementales des grandes gueules : 

  • Elles donnent généralement la pleine mesure de leur capacité vociférante dans les réunions et en open space : elles n’éprouvent en effet aucun intérêt à ce que les poussées de leurs cordes vocales se perdent dans le vide, tout le monde n’est pas Flaubert pour disposer d’un « gueuloir ».
  • Leur ego est proportionnel à la hauteur de leur timbre vocal.
  • Par suite, elles qualifient la plupart de leurs collaborateurs et partenaires de leur entreprise (clients comme fournisseurs) d’un vocable de trois lettres peu flatteur, très utilisé (et de plus en plus fréquemment) dans la langue de Molière.
  • Elles sont convaincues qu’elles seules savent gérer un programme et/ou des personnes, et sont donc persuadées ou affectent de l’être que sans elles, l’entreprise coulerait.
  • Pourtant, elles ne sont qu’exceptionnellement à l’origine d’une idée novatrice et/ou constructive. Il est vrai qu’on ne peut pas simultanément crier et penser.

Malgré cela, les grandes gueules font souvent carrière, pour deux raisons :

  • Elles ne sont tout de même pas des imbéciles : bon nombre de leurs chefs sont donc à l’abri de leur mépris (tout au moins celui exprimé en public).
  • Ces derniers sont impressionnés par ce qu’ils supposent être de l’assurance : à l’heure où le management l’emporte sur la technique dans l’échelle des valeurs de nos entreprises, la grande gueule présente à sa hiérarchie toutes les garanties attendues d’un « leader ».

En plus de quarante années de carrière, je n’ai connu qu’une seule grande gueule qui soit un « vrai » directeur : il faut dire qu’il était sourd d’une oreille, ce qui expliquait, au moins en partie, la hauteur de son timbre.

Je suggère au lecteur qui doutera de mon propos de bien analyser son environnement professionnel : s’il n’y trouve aucune grande gueule, c’est probablement parce qu’il travaille dans l’une de ces (encore trop rares) entreprises à mission où l’on a redonné à l’humain la place qu’il mérite. Parce que pour les autres…

J’aimerais apporter une petite précision historique. Dans la mythologie grecque, Stentor était un crieur de l'armée grecque qui assiegeait Troie ; il fut exécuté après avoir perdu contre Hermès une joute vocale ; or Hermès était le messager des dieux. N’y a-t-il pas là un message que nos grandes gueules devraient garder en mémoire ? Pour conclure, je citerai à nouveau cette phrase de François Mauriac aussi courte que pertinente, et qui résume on ne peut mieux ce qui caractérise les grandes gueules : "Moins les gens ont d’idées à exprimer, plus ils parlent fort".

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