La gestion des projets complexes

Le blog de Rodolphe Krawczyk

Avion à hydrogène et eVTOL : emballements médiatiques ?

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Avion à hydrogène et eVTOL : emballements médiatiques ?

Deux projets font souvent la une des magazines aéronautiques : l’avion à hydrogène et l’eVTOL. Mais entre les défis technologiques et les incertitudes du marché, il faudra se montrer patient pour les voir s’imposer.

Le 2 mars, un Dash 8 propulsé à l’hydrogène réussissait un vol de 10 minutes, et Universal Hydrogen, l’entreprise à l’origine de cette opération, créait le buzz. Il faut dire que la décarbonation de l’aviation bat son plein depuis près d’une décennie : l’hydrogène est l’une des voies prometteuses, mais les technologies à mettre en œuvre sont ambitieuses, ce que j’avais relaté dans le billet «L'avion à hydrogène: entre rêve (ou cauchemar ?) et réalité (ou lubie ?)» publié en octobre 2020.

On ne peut donc que saluer cette avancée notoire. Mais… dans le numéro du 27 mars dernier d’Aviation Week, Martha Neubauer, associée de la société de conseil aérospatiale AeroDynamic Advisory, tempérait quelque peu l’exaltation prématurée déclenchée par ce qui n’est pour le moment qu’un essai précurseur de longs développements à venir.

Parmi les défis techniques à relever, elle cite :
- Complexité du contrôle thermique, les piles à combustible à hydrogène dégageant autant de chaleur que d’énergie utilisable pour la propulsion.
- Faible densité d'énergie volumétrique requérant de grands réservoirs, au détriment de l’espace réservé aux passagers.
- Sensibilité des piles aux sollicitations mécano-thermiques.
Les technologies correspondantes demanderont encore des années pour atteindre un niveau de maturité compatible avec les réglementations de l’aviation civile.

Un autre obstacle, et non des moindres, est le marché :
- Le coût d’un tel avion est le double de celui d’un avion "classique".
- La faible densité d’énergie, déjà mentionnée, conduit à une distance franchissable pour un Dash 8 de 900 km, la moitié de celle requise pour les vols régionaux.
- L’intégration d’avions à hydrogène dans les réseaux aériens actuels constitue un défi du point de vue tant des infrastructures que de la planification des vols.

L’attitude des gouvernements, au travers d’incitations fiscales, sera déterminante pour la levée d’un tel obstacle.
Conclusion pour l’avion à hydrogène : il va dans le sens de l’histoire, mais… patience !

Autre sujet : les aéronefs à décollage et atterrissage verticaux électrique, désignés par leur sigle anglais eVTOL (electric Vertical Take-Off and Landing), et destinés à devenir les futurs taxis volants. Dans le numéro du 12 décembre dernier d’Aviation Week, Kevin Michaels, directeur général d’AeroDynamic Advisory, tirait la sonnette d’alarme sur les perspectives, à court terme, de ces nouveaux "engins" dans un article qui se passe de traduction : «There will be blood. Dissecting the eVTOL business models». Il passe en revue (et par la même occasion au fil de l’épée) la plupart des projets en cours, au design aussi séduisant que futuriste, en rappelant la mésaventure de Dayjet qui envisageait dès 2007 de relier les centres d’affaires mal desservis par des taxis volants "à la demande" et qui fit faillite en 2008 faute d’un business model adapté :

- Lilium espère que son Lilium Jet pourra transporter 6 passagers au prix de 2,25 dollars par mile-passager, en opérant à raison de 10 heures par jour, et se trouvera confronté au même problème de marché ténu que Dayjet.
- Même remarque pour Volocopter avec son Volocity transportant 2 passagers jusqu’à 30 km au maximum, avec un taux d’utilisation de 3 000 heures/an.
- Joby S4 envisage de transporter 6 passagers à 320 km/heure sur 240 km pour 3 dollars par mile-passager, prix supérieur à celui d’un avion régional, avec un taux d’utilisation de 2 500 heures/an.

Ces taux d’utilisation jugés excessifs par les spécialistes viennent du fait que le coût d’amortissement de ce type d’appareil, techniquement très complexe, est très supérieur à celui d’un hélicoptère : entre 2 et 4 millions de dollars, alors qu’un (petit) hélicoptère Robinson R44 ne coûte que 500 000 dollars. Pour le rentabiliser, il faut donc le faire fonctionner longtemps. On en arrive à ce qu’AeroDynamic Advisory nomme "Unsustainable Life Spiral", et… "financial carnage follows" : pendant que les ingénieurs s’extasient du design sexy de ces appareils, les opérateurs devront faire face aux dures réalités économiques. Je l’avais relaté dans le billet «Dans les projets complexes, il y a parfois loin de la coupe aux lèvres» paru en juin 2021, dans lequel j’évoquais les conséquences du buzz des eVTOL, suite aux doutes émis par Graham Warwick, journaliste d’Aviation Week. En 2 ans, le buzz a mieux décollé que les eVTOL. A noter que cet eVTOL a été choisi pour transporter les visiteurs (plus exactement : quelques visiteurs) des Jeux Olympiques de Paris en 2024 : coup de chapeau au PDG de Volocopter qui, accompagné par le chancelier allemand en personne, a réussi à imposer son produit alors que les réglementations sur la circulation des eVTOL en espace urbain ne sont pas encore établies !

Les eVTOL sont appelés à sillonner un jour les espaces aériens des grandes agglomérations, mais là encore, il faudra faire preuve de patience.

Si les emballements médiatiques cèdent la place à la raison et au bon sens, et si l’enthousiasme suscité par ces nouvelles technologies ne retombe pas comme un soufflé raté, gageons qu’avion à hydrogène et eVTOL sont promis à un bel avenir.

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