« Bruno Le Maire favorable à des quotas pour promouvoir l’égalité femmes-hommes ». Il fallait bien un titre pareil pour me pousser à reprendre la plume après un trop long silence. Le mot Quota a été lâché. Le pouvoir polémique de ce terme ne faiblit toujours pas avec les années. Là où certains voient dans les quotas LA solution pour résoudre les inégalités dans la répartition hommes-femmes des entreprises, d’autres y voient un favoritisme injuste, résultant d’une promotion liée au sexe et non à la compétence. Nous aurions ainsi des femmes recrutées parce qu’elles sont femmes et non parce qu’elles sont qualifiées pour le poste, au détriment parfois d’hommes plus méritants. Alors, qu’en est-il réellement ? Y a-t-il des conclusions à tirer de nos quelques années d’expérience sur ce sujet ? Et, quels sont les arguments de ceux véhémentement opposés aux quotas ?
Cela tombe bien. Nous fêtons cette semaine les dix ans de la loi Copé-Zimmermann. Elle a été votée le 27 janvier 2011. Pour rappel, cette loi prévoit que la proportion des administrateurs de chaque sexe ne peut être inférieure à 40 % dans les conseils d'administration des entreprises moyennes ou grandes.
Résultat après dix ans ? 46% de femmes dans les conseils d’administration des 160 plus grandes entreprises françaises, le double de la moyenne des pays de l’OCDE. Mais l’effet principal de cette loi ne se résume pas à un chiffre, il réside dans l’évolution des conseils d’administration. Une plus grande diversité a permis de recruter des personnes avec des compétences différentes et d’améliorer la gouvernance des entreprises. La diversité permet d’introduire un nouveau regard dans les conseils et de questionner l’ordre établi dans l’entreprise, sur lequel repose le leadership traditionnel. Dans un monde où l’innovation accélère de manière exponentielle, ces changements deviennent de vrais avantages compétitifs.
Pourtant, à la sortie de l’annonce de Bruno Le Maire, les mêmes arguments vieux de dix ans sont revenus. Nous pourrions croire que les résultats parlent d’eux-mêmes et que nous pourrions éviter les mêmes débats, les mêmes questions et les mêmes réponses… Mais non, cela serait trop simple et nous manquerions la joie des débats à la française.
Ainsi, ensemble, je vous propose de déconstruire les arguments contre les quotas, enfin ceux qui reviennent le plus souvent.
Argument 1 : "Les quotas ne suffisent pas à changer l’ensemble des comportements." En d’autres termes, ils entraînent des petites modifications, et non une transformation complète de l’entreprise (voire de la société). Et il est vrai, par exemple, qu’il y a toujours aussi peu de femmes au niveau exécutif et dans les comités de direction, malgré l’augmentation de leurs nombres dans les conseils d’administration. On ne peut pas contester ce fait, les quotas ont un impact limité. Cependant, ce type de raisonnement encourage l’immobilisme, ne fait certainement pas avancer la cause et est, à mes yeux, éculé. Acceptons que, quoi qu’on entreprenne, cela ne sera jamais assez, cela ne règlera jamais immédiatement le problème dans sa globalité, mais que cela n’empêche pas de mettre en place des initiatives qui vont dans le bon sens. Regardons pour chaque proposition son impact positif, plutôt que de tout de suite mettre en lumière ses limites.
Argument 2 : "Je recruterais bien des femmes, mais je n’en trouve pas." Effectivement, utiliser les réseaux habituels permet de recruter les profils habituels, sortant des mêmes écoles, du même milieu social avec la même vision du monde et de l’entreprise. Il faut avoir une vraie démarche de diversité, rechercher les candidates dans les « réseaux de traverses » et surtout accepter et valoriser des profils différents.
Argument 3 : "On choisit les femmes pour le quota, mais pas pour leur compétence."Les femmes sont souvent les premières à avancer cet argument contre les quotas. Elles ont peur, et cela se comprend, de ne pas être recrutées pour leurs qualifications, mais pour leur sexe. Mais l’expérience montre que cette idée ne reflète absolument pas la réalité. Aucune entreprise ne prendrait le risque de nommer une personne incompétente sur un poste critique, même pour répondre à une obligation légale. Aucun recruteur ne prendrait le risque de présenter des candidats non-qualifiés pour remplir des objectifs. Cette attitude aurait rapidement des conséquences très négatives sur son propre emploi, et à plus grande échelle, sur l’entreprise.
Quand Schlumberger, entreprise de services pétroliers, a introduit dans les années 90 un quota afin d’embaucher des femmes ingénieures pour qu’elles aillent sur les plateformes de forage, cela a eu pour conséquence principale de remettre en question les méthodes de recrutement, aussi bien le texte dans les annonces que le format des entretiens. La première action mise en place fut de trouver un moyen pour attirer les femmes dans ces emplois peu féminisés. Ensuite, il y a eu un travail d’intégration pour soutenir ces pionnières. Les objectifs chiffrés ont pour conséquence directe de remettre en question l’attractivité des entreprises. Cela les pousse à être plus créatives pour ne pas produire un unique schéma de recrutement (et donc naturellement un unique profil dans l’entreprise), mais au contraire, de proposer une approche différente pour attirer des personnes différentes ! Après quelques années, l’objectif de 35% était atteint, 35% de femmes dont les compétences ne furent plus questionnées car reconnues avec le temps.
Les quotas restent le moyen le plus efficace d’accélérer l’augmentation du nombre de femmes à des postes traditionnellement tenus par des hommes. Aujourd’hui, on voit que dix ans après la loi Copé Zimmermann, la valeur ajoutée apportée par la parité ayant été prouvée, les femmes ne sont clairement plus recrutées dans les conseils d’administration pour des raisons de quotas, mais pour leurs apports bénéfiques.
Et c’est bien le but recherché. Avoir un nombre de femmes suffisamment important pour que leur présence devienne naturelle et que les mentalités changent… afin un jour de supprimer les quotas ! Pour finir, et si vous voulez lire un article dans lequel je développe les arguments plus avant, c’est ici