Je vous racontais dans un article précédent, mes premiers pas sur plateforme, expliquant les petits tracas auxquels j’ai pu faire face.
Aujourd’hui, je voudrais aborder avec vous la question des relations humaines. Vous imaginez bien qu’étant la seule femme au milieu de 80 hommes, ce ne fut pas toujours simple.
Au cours des premiers voyages, je reste dans l’ombre de mon tuteur. Je n’ose pas me faire remarquer, je me fais aussi petite que possible et je ne vais nulle part sans lui.
Etant en formation, je ne suis pas très sûre de comprendre ce qui se passe autour de moi et cela ne m’aide pas à m’affirmer. Je ne suis pas prête pour la moindre confrontation, je ne me sens pas armée pour cela.
Malgré tout, ma montée en compétences se fait rapidement. Plus à l’aise, je commence à gagner en confiance.
Et puis un jour, mon tuteur est appelé en urgence sur une autre mission. La nôtre n’est pas finie, mais il reste suffisamment peu à faire pour me laisser prendre en charge le projet. Me voilà pour la première fois seule.
Quelques minutes après son départ, alors que l’hélicoptère est encore en vue, le téléphone de notre unité de travail sonne. Une voix d’homme, forcément d’homme, me dit qu’il aimerait faire plus ample connaissance. Ma réponse est glaciale : "Ce coup de téléphone est une erreur et je vais l’oublier. Mais si cela se renouvelle, je porterais plainte officiellement contre vous auprès du chef de la plateforme."
Pourquoi une réaction aussi violente à cette demande, vous dites-vous peut-être ? Parce que cette demande innocente se passe en pleine mer, et que je suis la seule femme à bord. Je dois établir des règles rapidement. Et ce qui pourrait passer pour une gentille prise de contact dans un environnement normal, ne peut être permis sur un rig.
Heureusement, cette prise de position dès le premier jour suffit à construire ma réputation et on me laissa tranquille à partir de ce jour.
Que se passe-t-il si l’on ne réagit pas comme cela ? Justement, une jeune stagiaire nous rejoignit une fois. Elle était beaucoup plus polie que moi. Elle a alors très rapidement été submergée de demandes de toutes sortes. De nouveau, rien d’agressif ni de méchant, mais cela la mit très mal à l’aise et je dus intervenir pour que cela cesse.
Une première mise au point dès le début suffit. Une fois les règles établies, alors, il est possible d’avoir des relations amicales avec ses collègues, très sympas au demeurant, car toute ambigüité possible a été levée. De nouveau, je parle d’un environnement extrême. Une femme qui travaille dans un milieu quasiment exclusivement masculin comprend souvent les règles du jeu à la suite d’une expérience désagréable. Pour éviter cela, il vaut mieux faire preuve de fermeté dès le début. Observer quelques temps, s’imposer, bien marquer « son territoire » et ne pas se laisser perturber par le sexisme ordinaire.
Quelques semaines plus tard, une fois passée ma période de formation, ma première mission commence. C’est un désastre. Il y a 30 ans, nous jonglions en permanence avec des outils, qui vont prendre des mesures au fond du puits, titillant les limites de cette technologie (>120 degrés celsius... etc). Les pannes peuvent arriver et notre formation nous apprend à y faire face. Mon premier job en solo… et ma première panne. C’est une panne assez mineure, qui n’affecte pas la zone de réservoir d’hydrocarbures, et donc sans impact réel. Cependant, je remets un dossier avec des incohérences de résultats et des mesures erratiques. Le client, en colère, en profite pour essayer de changer d’ingénieur et pour se « débarrasser » de moi. Pour faire court, il n’est pas prêt à me faire le moindre cadeau et certainement pas à accepter les ennuis inhérents à mon inexpérience. Avoir une femme à bord est déjà compliqué à gérer, il ne tolère aucune erreur de sa part.
Je n’ai pas souvent été confrontée à ce genre de sexisme qui demande aux femmes d’être meilleures que les hommes et qui ne pardonne rien. Mon chef me soutient et je retourne sur la même plateforme peu de temps après. La mission se passe cette fois-ci sans le moindre souci. A tel point que le client demanda plus tard à mon chef de ne surtout pas me remplacer. Une fois que j’avais été acceptée, il appréciait finalement ce qu’apportait cette présence féminine à l’ambiance générale.
Les premiers pas sont difficiles, pour mieux libérer les suivants.