Les neurosciences ont le vent en poupe. Malheureusement, comme toute approche à la mode, elles charrient aussi tout un ensemble de promesses, au risque de mener à de nombreuses désillusions si elles ne sont pas accompagnées d'une certaine rigueur. Face à une croissance d'offres et de produits vernis de neurosciences, qui promettent de révolutionner de nombreux champs d'activité, certains chercheurs en neurosciences (dont nous faisons partie), parlent de neuro-washing, voire de neurobullshit.
Sans aucun doute, les dernières avancées en neurosciences ont permis de mettre cette discipline sur le devant de la scène. Avec l'essor des techniques d’imagerie cérébrale, les chercheurs peuvent accéder à un niveau de précision inégalé dans la description de mécanismes qui sous-tendent nos comportements quotidiens : la manière dont notre attention s’oriente, la manière dont nos émotions impactent nos décisions, ou encore la façon dont le comportement de notre interlocuteur vient moduler nos réactions.
Même si la route vers la compréhension de ces mécanismes extrêmement complexes est encore longue, les neurosciences semblent donc pouvoir déjà éclairer des problématiques centrales pour de nombreux individus et entreprises. Il n’en fallait pas plus. La vague des experts en neuromanagement, en neuropédagogie ou en neuroleadership est lancée. Sans remettre en cause l’intérêt d’exploiter les connaissances scientifiques sur le cerveau et le comportement dans les entreprises, il nous semble crucial de préciser en quoi ces mots valises comportent des risques pour ceux qui y verraient une solution aux nouveaux maux de notre société.
Les neurosciences seules n'ont que peu d'utilité en entreprise
Trop souvent, les neurosciences sont confondues avec les sciences cognitives, champ de recherche qui tire sa force d’une complémentarité entre de nombreuses disciplines scientifiques. En son sein, les neurosciences vont le plus souvent s’attacher à étudier le fonctionnement du cerveau en tant qu’objet biologique.
D’autres disciplines, telles que la cognition sociale ou encore la psychologie cognitive, vont quant à elles s’intéresser aux mécanismes cognitifs qui régissent les comportements. Dans le champ des applications des sciences du cerveau et du comportement, il est très important de noter que la majeure partie des promesses faites au nom des neurosciences ne seront atteintes qu'avec l'aide des autres disciplines qui composent les sciences cognitives. Il faut donc commencer par désacraliser une approche purement biologique de l'étude des comportements.
Par exemple, peut-être avez-vous déjà entendu parler de la dopamine, cette fameuse « hormone du plaisir » ? À lire certains articles, il suffirait d'adopter des organisations propices à la sécrétion de dopamine pour que l'on soit motivé ou que l'on ressente du plaisir. Dans les faits, notre cerveau sécrète de la dopamine en permanence. Mais surtout, ses effets vont dépendre de la zone d’où elle est sécrétée, mais également du niveau d'activation des autres neurotransmetteurs dans chaque région du cerveau. En bref, il est donc incorrect de résumer un état de motivation, d'engagement ou de plaisir à une simple variable biologique, comme un neurotransmetteur.
Face au constat que la seule variable biologique ne peut être utilisée pour améliorer les modes de travail ou de collaboration, il est nécessaire de regarder ces comportements sous différents angles. C'est ici toute la force des sciences cognitives.
En effet, comprendre le fonctionnement de l'empathie ou encore l'impact de l'appartenance à un groupe sur nos comportements sociaux en prenant appui sur la psychologie cognitive ou encore la cognition sociale peut devenir extrêmement utile. Pas question ici d'argumentaires basés sur les neurones, encore moins sur les neurotransmetteurs. Malheureusement, du fait de l'effet de mode et quelle que soit la pertinence de ces propos, cette approche sera moins attractive, et générera sans doute moins de clics, ou moins de livres vendus.
Ajouter le terme « neuro » devant un terme ne prouve en rien une démarche scientifique !
En effet, une étude a révélé que les explications d’un phénomène psychologique étaient jugées plus convaincantes lorsqu’elles étaient accompagnées d'images de cerveaux en IRM (Weisberg, Keil, Goodstein, Rawson, & Gray, 2008). Les neurosciences peuvent donc être utilisées comme un argument d'autorité important, permettant de convaincre plus facilement quant à la (prétendue) réalité de tel ou tel processus par la preuve biologique.
Comme l’a récemment rappelé avec justesse le chercheur Franck Ramus ajouter le mot « neuro » devant un concept ne le rend pas scientifique pour autant. Cela n’est pas non plus un garant de véracité, ni même d’innovation. Lorsque l'on ajoute à cela un intérêt grandissant de la population pour ces sujets, il devient donc crucial d'être particulièrement rigoureux dans la communication et l'usage de ces connaissances.
Comment garantir de réelles innovations quant à l'application de ces connaissances ?
Plutôt que de nous apporter une vision simpliste du comportement et des individus, les sciences cognitives nous enseignent au contraire à manipuler ces concepts, encore jeunes dans l'histoire la science, avec précaution et en intégrant leur grande complexité. En effet, les connaissances obtenues sur le fonctionnement du cerveau sont acquises dans des environnements très différents de ceux que nous rencontrons au quotidien, et leur extrapolation dans le monde réel n'en est que plus risquée.
Afin de ne pas créer de mythes, ni de diffuser de fausses croyances, il est alors de la responsabilité de chacun d’être précautionneux dans l’usage de ces sciences, et de ne pas créer (ni attendre) de promesses sur des solutions dont les effets n'auront pas encore été évalués avec rigueur. L'évaluation telle qu'elle est menée en laboratoire doit inspirer les entreprises. Les sciences cognitives apportent aujourd'hui de réelles opportunités d'amélioration des modes de travail, de management et de formation, qu'il sera nécessaire de tester sur le terrain, et d'évaluer dans les années à venir.