En moins de dix ans, les aéronefs électriques ont réussi à convaincre investisseurs, grands groupes, opérateurs d’infrastructures et instances de régulation. Les premières conditions sont réunies pour atteindre un stade industriel à l’horizon 2030.
Certes, ils ne ressemblent pas aux spectaculaires voitures volantes de "Blade Runner". Mais les eVTOL ("electrical vertical take-off and landing aircrafts", en français "aéronefs électriques à décollage vertical") ne sont plus de la science-fiction. Début novembre, un appareil du constructeur allemand Volocopter a effectué un vol d’essai de quelques minutes en conditions réelles, c’est-à-dire intégré au contrôle aérien, au-dessus d’un aérodrome d’Ile-de-France.
Le rêve d’un nouveau mode de transport aérien non polluant, sûr et adapté à la croissance des zones urbaines est en passe de devenir une réalité industrielle. Depuis les premières présentations de prototypes d’eVTOL, au milieu des années 2010, des dizaines d’acteurs sont entrés sur ce marché naissant, levant des fonds et suscitant des milliers de précommandes (plus de 7000 à ce jour). Les start-up pionnières (Volocopter ou Lilium en Europe, Joby ou Archer aux Etats-Unis) ont été rejointes par les géants Airbus (CityAirbus) et Boeing (via un investissement dans Wisk) ainsi que des constructeurs automobiles comme Volkswagen ou Hyundai. Les équipementiers aéronautiques (Safran, Honeywell…) se sont également mis sur les rangs, tout comme certaines compagnies aériennes : United Airlines a précommandé des centaines d’appareils, et NetJets, opérateur de jets privés, a mis une option sur 150.
Les premiers vols avec passagers sont attendus pour 2024 ou 2025, et de nombreux indicateurs s’alignent pour que les eVTOL deviennent une véritable industrie à l’horizon 2030.
Les leviers d’un décollage
Premièrement, la technologie a fortement progressé, en termes d’autonomie et de sécurité. Joby a développé une batterie ion-lithium de 300 Wh/kg, promettant des vols de 240 km, dans la lignée de ce qu’a annoncé le fabricant Amprius avec sa batterie de 500 Wh/kg offrant plus de 500 cycles de vie. Lilium quant à lui a démontré qu’il maitrisait la phase habituellement risquée de transition des ailes du décollage vertical au vol horizontal, comme l’avaient fait avant lui Archer ou Vertical Aerospace.
Deuxièmement, un cadre de régulation se met en place à grande vitesse. Il y a trois ans, l’AESA (agence européenne de la sécurité aérienne) a publié ses spécifications techniques préalables sur les eVTOL. Selon la vision de l’agence, les vols seront dans un premier temps limités à des routes prédéfinies, et ces nouveaux appareils pourront embarquer entre 2 et 9 passagers.
Enfin, les infrastructures destinées à ces appareils se précisent. La FAA (Federal Aviation Administration) a publié une recommandation sur les règles de design concernant les futurs "vertiports", d’où décolleront et atterriront les appareils. Ils devront notamment disposer d’un terminal passagers et de bornes de recharge rapides pour les batteries. Plusieurs villes ont déjà annoncé leur intention d’en faire construire.
Une alternative en milieu urbain
Les avancées en matière de technologie, de régulation et d’infrastructures permettent d’avoir enfin une vision claire sur les cas d’usages : le transport de passagers à la demande sur des distances moyennes ou courtes, typiquement pour relier un aéroport international et le centre d’une métropole, ou entre deux zones urbaines. Un usage reflété par le terme de "taxi volant", souvent employé pour décrire ces engins qui viendront concurrencer les mototaxis ou les hélicoptères, en étant plus rapides et plus confortables que les premiers, mais aussi moins coûteux, et moins bruyants que les seconds, avec de nouveaux appareils s’inscrivant pleinement dans l’objectif d’un nouveau transport écologique. Selon les calculs du BCG, un trajet entre les villes californiennes de San Jose et San Francisco, distantes de 85 kilomètres, coûterait 160 dollars en eVTOL, contre 320 dollars en hélicoptère, et ne prendrait que 27 minutes, soit quatre fois moins qu’en voiture ou en train – et sans émettre de CO2 !
Bien sûr, l’industrie naissante des taxis volants va encore devoir surmonter des obstacles, en premier lieu l’obtention des certifications de ses véhicules par les agences de régulation qui exigent le même niveau de sécurité qu’un avion de ligne, soit un niveau de risque de 10-9.
Elle devra aussi convaincre les villes – et leurs habitants – des bienfaits de ce nouveau mode de transport, en apportant la preuve qu’il est plus sûr, plus silencieux et moins onéreux que les solutions existantes. Il est néanmoins urgent pour les industriels de se mettre en ordre de marche dès maintenant, car la course est déjà bien lancée et les premiers à entrer en service fixeront les règles à suivre pour les autres, avec un avantage considérable dans l’image de marque et la captation du marché.
Par Mikaël Le Mouëllic – Directeur associé au BCG, Ali Rekik – Directeur associé au BCG, Raphaël Giraud – Chef de projet au BCG