Cette rentrée est très bestiale. Notre rapport à l’animal occupe une bonne part des débats publics, souvent agités, parfois enflammés, pour ne pas dire rugueux. Le projet de référendum d’initiative partagée sur le bien-être animal fait bondir les chasseurs ; les révélations par l’association L214 de manquements à la réglementation en abattoir ou en élevage suscitent régulièrement l’effroi et la consternation ; la diminution de notre consommation de viande oppose frontalement acteurs des filières animales et végans. Une "mise à l’agenda" qui aurait pu être encore plus forte avec la création d’un secrétariat d’Etat à la condition animale, qui a agité le Landerneau politique lors du dernier remaniement… Une focalisation qui traduit la profonde mutation de notre société sur ces questions et qui impacte déjà l’industrie. Une évolution appelée à s’accélérer.
Vers l’abandon de l’expérimentation animale
L’expérimentation animale à des fins scientifiques constitue l’un des chevaux de bataille historiques des défenseurs de la cause animale. Expérimentations progressivement interdites en cosmétologie en Europe depuis 2013 mais qui peuvent subsister dans le domaine de la R&D biomédicale. Des expérimentations que la réglementation en vigueur appelle à réduire, raffiner et remplacer dès que des alternatives existent. Une utilisation de l’animal qui apparaît de moins en moins acceptable aux yeux d’une bonne part de l’opinion publique et qui est appelée à disparaître au profit de l’expérimentation "in silico", fondée sur la modélisation. Une évolution qui impacterait de plein fouet l’industrie pharmaceutique si, demain, la perception de l’intérêt d’un médicament ne se limitait pas à ses bénéfices médicaux attendus mais incluait également un regard éthique sur son élaboration.
Moins de viande, et mieux
Le secteur agroalimentaire est également en première ligne. La production de viande peut être associée à des systèmes d’élevages intensifs, dépendant d’une alimentation animale importée, produite sur des terres issues de la déforestation à l’autre bout de la planète. Et donc à des émissions de gaz à effet de serre d’origine multiple : production de méthane par les animaux - notamment les ruminants - mais également de protoxyde d’azote, à fort potentiel réchauffant, issus des engrais. S’ajoute à cela la question de l’accès du bétail à des parcours extérieurs, synonymes pour beaucoup de consommateurs de bien-être. Deux des raisons soulignant l’opposition à l’élevage intensif. Mais tous les élevages ne présentent pas les mêmes impacts environnementaux : les élevages "extensifs", de plein air, contribuent par exemple à l’entretien de prairies permanentes, qui séquestrent le carbone et hébergent une biodiversité riche. La présence d’animaux est nécessaire pour préserver ces paysages. Manger moins de viande présente indiscutablement des bénéfices pour le climat, mais supprimer toute forme d’élevage aurait certains effets négatifs sur l’environnement. C’est donc une approche systémique, centrée sur les "bouquets de services" rendus par l’élevage, qui doit être privilégiée pour bien cerner les bénéfices potentiels de cette activité.
Le mirage techniciste ?
Pour certains, notre salut passe par la culture cellulaire et la viande de synthèse. Une approche techniciste qui, par définition, règle la question du bien-être animal. Mais pas celle du climat… Car la culture cellulaire nécessite beaucoup d’énergie et rien ne garantit à ce stade que les rendements énergétiques liés à la production de ces protéines soient meilleurs que ceux offerts par la nature, lorsqu’une vache transforme de l’herbe en protéines. Ou lorsque ces protéines sont directement issues de légumineuses… Ainsi, pour la question du bien-être animal comme pour beaucoup d’autres, l’innovation technologique ne réglera sans doute pas tous les problèmes d’un coup de baguette magique. Des arbitrages et compromis devront être élaborés collectivement. Seul un large débat public, ouvert, transparent, étayé, associant l’ensemble des composantes de notre société, pourra contribuer à réconcilier des visions et des intérêts divergents. Le référendum d’initiative partagée proposé aujourd’hui pourrait en constituer une opportunité remarquable.