L’Agence européenne pour l’environnement (AEE) fait partie des institutions sur lesquelles s’appuie l’Union européenne pour éclairer ses décisions. Un organisme sérieux, donc. Qui vient de jeter un petit pavé dans la mare en publiant le rapport "La croissance sans la croissance économique".
Une analyse soulignant à quel point découpler notre développement de la consommation des ressources naturelles, par définition finies, apparaît très difficile. Un constat qui nécessite de questionner les voies alternatives à la croissance économique "classique", c’est-à-dire d’envisager post-croissance ou décroissance comme des options crédibles. Bref, un profond changement de paradigme… voire une petite révolution.
Découplage et économie 100% circulaire : deux mythes modernes ?
L’ analyse rétrospective des données scientifiques disponibles souligne qu’empreinte matérielle, produit intérieur brut et émissions de gaz à effet de serre sont fortement corrélés. Alors que la croissance démographique a été la principale cause de l'augmentation de la consommation de 1970 à 2000, l'émergence d'une classe moyenne aisée à l'échelle mondiale en a été le principal déterminant au début du XXIe siècle. En Europe, la croissance n'a pas été découplée de la consommation de ressources. Plusieurs des empreintes environnementales de l'Union européenne dépassent les limites de la planète et les perspectives d'atteinte des objectifs des politiques environnementales européennes pour 2020, 2030 et 2050 apparaissent très faibles à l’AEE.
Si la croissance économique ne peut être dissociée de l'utilisation des ressources, les politiques d'économie circulaire ont longtemps été présentées comme une voie de secours incontournable. Mais améliorer la gestion des déchets et promouvoir une consommation responsable ne suffisent pas si les mesures de circularité alimentent une croissance qui conduit à une augmentation de la consommation de matières premières. Croire que les ressources matérielles ne pourraient provenir que de l’ « intérieur » de l'économie, sans prélèvement sur la nature, relèverait donc plus de l’imaginaire socio-technique que de l'analyse biophysique rationnelle…
La décroissance et la post-croissance comme horizons collectifs ?
L’Agence européenne pour l’environnement insiste sur le fait que les États modernes se sont tous construits sur une pensée économique axée sur la croissance économique. Ils ont conceptualisé les problèmes sociaux et environnementaux comme des externalités. En conséquence, la croissance est culturellement, politiquement et institutionnellement considérée comme unique horizon collectif. La légitimité des gouvernements ne peut être dissociée de leur capacité à assurer la croissance économique et à créer des emplois. Toutefois, ces dernières décennies ont vu se multiplier les initiatives visant à "repenser l'économie" et à développer des perspectives théoriques qui combinent l'attention portée aux besoins légitimes de la population et la nécessité d'une transformation vers un avenir durable, comme le propose par exemple la théorie du donut.
Au-delà de la "croissance verte", qui repose exclusivement sur le progrès scientifique et technologique, d’autres concepts doivent être désormais envisagés selon l’AEE. C’est le cas de la décroissance, qui repose sur la réduction de la production et de la consommation, ou de la post-croissance qui se concentre sur la nécessité de découpler le bien-être de la croissance économique.
Pour l’Agence européenne de l’environnement, le défi premier des années à venir consistera à intégrer ces perspectives dans les processus démocratiques et à examiner comment elles pourraient être mises en œuvre efficacement pour soutenir les objectifs de durabilité de l'Europe. L'innovation sociale, politique et technologique sera nécessaire pour traduire les idées alternatives à la croissance en nouveaux modes de vie. Au-delà de l’enjeu environnemental, un défi qui pourrait aussi redonner à l’Europe une légitimité citoyenne aujourd’hui contestée.