Condamnation de Monsanto à verser deux milliards de dollars de dédommagement à un couple américain ; mise à jour du fichage de décideurs par un cabinet travaillant pour le fabricant de pesticides : le glyphosate a fait la une des médias la semaine passée. Y compris lorsque le sénateur de Haute-Garonne Pierre Médevielle a remis en question la dangerosité de cette molécule dans un entretien à "La Dépêche du Midi". Une prise de parole inspirée par des lobbyistes ? Quoi qu’il en soit, une séquence qui interroge sur la remise à plat des relations entre lobbies et décideurs publics sur les questions environnementales.
Des stratégies d’influences qui coûtent cher
Influencer les décideurs publics pour obtenir un avantage particulier en faisant évoluer une loi ou un règlement : un exercice vieux comme la politique. Développer une stratégie d’influence est indispensable pour permettre à une entreprise de voir pris en compte ses intérêts particuliers. Une pratique presque consubstantielle de l’élaboration de la norme : le législateur doit entendre les attentes des entreprises pour élaborer des textes adaptés aux enjeux économiques. Mais il doit également entendre l’opinion des citoyens ou des associations. Le problème, c’est le déséquilibre des moyens…
ExxonMobil, Shell, Chevron, BP et Total auraient ainsi dépensé un milliard de dollars en lobbying depuis la conclusion de l’accord de Paris en 2015 selon un rapport de l’ONG britannique InfluenceMap publié le 22 mars.
Beaucoup d’argent en faveur des énergies fossiles, en face duquel les budgets de communication des ONG font figure de Petit Poucet…
Certains industriels développent des stratégies encore plus élaborées. Ainsi, comme l’a dévoilé "Envoyé spécial" le 16 mai, Monsanto aurait fait appel à des communicants irlandais pour créer une association de défenseurs du glyphosate, Agriculture et Liberté. Une association dont tous les comptes sur les réseaux sociaux ont été supprimés depuis la diffusion de l’émission de France 2. Créer ex nihilo un groupe de soutien, une méthode astucieuse dite d’astroturfing, en référence à une marque américaine de gazon artificiel. Qui nécessite de gros moyens…
Un encadrement nécessaire pour systématiser la transparence
Le lobbying est ancré dans la culture anglo-saxonne. Dès 1946, les Etats-Unis instituaient un registre unique de déclaration des lobbyistes auprès de l’exécutif, du sénat et de la Chambre des représentants. Un encadrement renforcé en 1995 par le Lobbying Disclosure Act puis en 2007 par le Legislative Transparency and Accountability Act, systématisant la publication de rapports d’activité par les professionnels du lobbying. De son côté, la Commission européenne reconnaît la représentation d’intérêts comme un élément légitime du processus législatif. Un processus long, reposant sur la recherche de consensus entre des parlementaires, Etats membres et institutions de sensibilités différentes. Une forme de co-construction multicentrique qui facilite l’influence de lobbyistes en tout genre, dont l’activité peut être enregistrée. Une inscription sur des registres de transparence qui reste encore volontaire aujourd’hui…
En France, la loi Sapin II a reconnu le rôle des représentants d’intérêts dans le processus décisionnel. Elle a rendu obligatoires leur inscription sur le registre de la Haute autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP), un reporting semestriel des activités de lobbying, la déclaration des montants dépensés et perçus. Un premier pas qui pourrait être suivi d’autres tant la demande de transparence dans l’élaboration des politiques publiques semble forte, notamment sur les enjeux environnementaux et de santé, bien souvent interconnectés.
La crise des Gilets jaunes a souligné l’immense fossé séparant une partie de la population des décideurs, publics ou privés. Le lobbying contribue à nourrir l’idée d’une collusion généralisée entre acteurs économiques et gouvernants. L’encadrer strictement pour rendre transparent et équitable le processus de décision apparaît donc indispensable pour mettre un terme à des pratiques d’un autre temps.