Le secteur de la santé est probablement celui qui connait le plus de partenariats et coopérations entre ses différents acteurs, qu’ils soient start-up, "big pharma" ou académiques. Ces accords sont devenus incontournables notamment pour développer de nouvelles thérapies, qu’il s’agisse d’approches thérapeutiques très innovantes, de nouvelles molécules dont le développement est très long ou de combinaisons de médicaments. Ces partenariats permettent, par exemple, de combiner des expertises, de financer les coûteuses phases d’essai clinique, d’amener sur le marché des découvertes initialement issues de la recherche académique.
L’un des enjeux de la négociation de ces accords est de définir une répartition adéquate de la valeur entre les parties, tout en prenant en compte les nombreuses incertitudes liées à une durée d’exécution souvent très longue du fait des temps de développement des thérapies. Ces accords de partenariat prévoient usuellement un paiement initial, appelé « upfront », et des paiements complémentaires, échelonnés dans le temps, qui sont conditionnés à la réussite d’étapes de développement et de commercialisation du produit développé.
La négociation des clauses prévoyant les modalités de déclenchement, de détermination et de règlement de ces paiements additionnels, appelés "milestones", est particulièrement sensible.
La mise en œuvre de ces clauses est l’objet de nombreux différends. Selon certaines études, près de la moitié de ces paiements conditionnels ne se réalisent pas car leurs critères de déclenchement ne sont pas remplis dans les conditions prévues par le contrat, notamment dans le calendrier fixé par les parties. Afin de limiter au maximum ces risques de différends, les parties doivent être particulièrement attentives à la définition des critères de déclenchement ainsi que des modalités de détermination et de règlement de ces paiements additionnels.
A titre d’exemple, un "milestone" dans le développement d’un produit pourra être lié aux résultats atteints à l’issue de l’une des phases d’essai, ou à l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché dans un calendrier donné. La rédaction de ces éléments devra être la plus précise et spécifique possible, par exemple en listant les indications souhaitées et les territoires concernés pour l’obtention de l’AMM. Attention toutefois à ne pas prévoir des critères trop restreints. Il sera ainsi préférable de viser l’atteinte d’un objectif déterminé (e.g. le succès de l’une des phases d’essai) plutôt que la méthode pour y parvenir (e.g. les résultats d’un essai en suivant une méthodologie particulière).
Les parties devront également prendre en compte les risques que le calendrier prévu initialement ne puisse être tenu et qu’en conséquence l’événement déclenchant un paiement de "milestone" ne se produise pas à la date convenue : s’il se produit ultérieurement dans un délai raisonnable, dans quelle mesure le "milestone" initialement convenu pourrait-il malgré tout être versé?
La précision des clauses de "milestone" sera d’autant plus importante dans le cadre d’une vente, que ce soit la cession des actions d’une biotech ou celle des droits sur un produit en cours de développement. En effet, ces clauses présentent les mêmes enjeux juridiques que les mécanismes de complément de prix (earn out). Leur validité conditionne celle de la transaction dans son ensemble. Le prix convenu par les parties doit être déterminable en intégralité sans qu’un accord ultérieur ne soit de nouveau nécessaire. Au besoin, les parties pourront recourir à un expert pour régler leur différend mais le principe de son intervention devra être prévu dans le contrat lui-même.
Malgré toutes les précautions que les parties pourront prendre lors de la négociation de ces clauses financières, il semble difficile d’anticiper l’ensemble des scenarii possibles qui aboutiront à la non-atteinte d’un ou plusieurs "milestones" (e.g. nécessaire changement de méthodologie de l’essai, modifications réglementaires, changements de stratégie au sein de l’une des parties). Les organes de gouvernance du partenariat et le choix d’un contact clef au sein de chacune des parties à l’accord, en charge de la mise en œuvre et du suivi du partenariat, seront essentiels afin d’aider les parties à anticiper les difficultés, éviter autant que possible l’escalade du différend et tenter de désamorcer les tensions le plus en amont possible.
Isabelle Marguet, associée nationale chez Dechert