Alors que les parlementaires sont en train de débattre de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), la LFSS pour 2019 avait étendu le régime des autorisations temporaires d’utilisation (ATU) aux extensions d’indications et en accès direct à la phase post-ATU. Il s’agissait d’un des engagements du CSIS (Conseil stratégique des industries de santé) afin de donner accès plus rapidement à des médicaments prometteurs.
Si l’on ne peut que saluer les avancées législatives qui continuent de faciliter l’accès des patients à des thérapies innovantes, on peut toutefois regretter que ce régime soit d’une complexité telle qu’elle pourrait décourager certains industriels de s’y engager.
Les articles L. 165-16-5-1 et suivants ajoutés dans le code de la sécurité sociale avaient posé les principes de cette extension, en créant un dispositif particulièrement lourd et comportant certaines zones d’ombre, par exemple sur le périmètre des produits concernés par l’obligation pour les laboratoires de permettre la continuité des traitements pendant un an.
Mais pour que ce dispositif soit effectif, ses modalités d’application devaient, dans les 6 mois, être précisées par décret en Conseil d’Etat.
Ce décret, intervenu le 20 août 2019 avec quelques mois de retard, parachève le cadre réglementaire applicable mais force est de constater qu’il n’est pas d’un maniement aisé.
Sont désormais précisées les conditions et les modalités de prise en charge des ATU en cas d’extensions d’indications ou d’accès direct en post-ATU.
Il est ainsi rappelé que la prise en charge d’une nouvelle indication d’une spécialité bénéficiant déjà d’une AMM est subordonnée au respect des critères de l’ATU, à savoir : (i) la spécialité vise au traitement d’une maladie rare ou grave, (ii) il n’existe pas de comparateur pertinent à cette spécialité, (iii) la mise en œuvre du traitement ne peut être différée sans présenter un risque grave et immédiat pour la santé des patients, (iv) elle est susceptible d’être innovante et, enfin, (v) susceptible de présenter une efficacité cliniquement pertinente et un effet important.
Surtout, le décret était très attendu sur les conditions dans lesquelles serait fixé le montant de la compensation.
La procédure choisie emprunte pour partie au régime connu en matière de fixation des prix des médicaments : ainsi, la Commission de Transparence (CT) de la HAS est saisie. Toutefois, elle n’est appelée à se prononcer que sur les critères ci-dessus. Elle dispose pour ce faire d’un délai de 45 jours à compter de la réception de la demande d’ATU. Elle a, à cet égard, publié en octobre un dossier type pour les demandes de prise en charge précoce qui précise les informations et éléments qui devront être renseignés par les fabricants. Il sera intéressant de voir dans quelle mesure son avis sur l’efficacité préfigure son évaluation de l’amélioration du service médical rendu (ASMR), qui est un critère déterminant pour la fixation du prix par le CEPS.
De plus, cet avis ne sera qu’un élément parmi d’autres pour la fixation de la compensation. En effet, le décret prévoit que les ministres de la santé et de la sécurité sociale pourront tenir compte de la mise à disposition de la spécialité (sans qu’il soit précisé ce que cela signifie) ainsi que d’un ou plusieurs critères utilisés dans le cadre de la procédure normale de fixation des prix.
S’il était nécessaire d’adapter ces critères à la situation particulière des ATU, à la fois en allégeant les exigences de preuves cliniques, et en tenant compte du fait que, par définition, il n’existe pas de comparateurs pertinents, une telle marge de manœuvre laissée au ministre alors que l’on est en présence d’une fixation unilatérale, ne manquera pas de donner lieu à des critiques, voire des contentieux.
Par ailleurs, le montant de la compensation sera potentiellement différent du montant auquel la spécialité sera prise en charge. En effet, celle-ci s’effectuera sur la base du prix auquel la spécialité est déjà remboursée dans la ou les indications déjà autorisées. Si le mécanisme a l’avantage de la simplicité, il aboutit néanmoins à l’application d’un prix qui pourrait être déconnecté de la valeur dans l’indication et des conditions d’utilisation.
Il sera de toute évidence intéressant d’analyser comment ces dispositions sont effectivement mises en œuvre et quel succès rencontre le dispositif - s’il n’est pas modifié par la nouvelle loi de financement de la sécurité sociale.
Sophie Pelé, associée nationale et Sophie Mitouard, collaboratrice chez Dechert