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Importations parallèles de médicaments : les droits des titulaires de marques face au reconditionnement

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Importations parallèles de médicaments : les droits des titulaires de marques face au reconditionnement
© Pixabay

Le 17 novembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu trois arrêts importants relatifs au reconditionnement des médicaments par des importateurs parallèles (Bayer, Novartis et Merck Sharp & Dhome, C-147/20, C-204/20, C-224/20). 

L’importation parallèle est la pratique par laquelle un produit mis en circulation dans un Etat membre de l’Union européenne est importé et commercialisé par un tiers dans un autre Etat membre hors du circuit de distribution originaire.  D’un point de vue du droit des marques, une fois que le produit portant la marque de son titulaire est commercialisé dans un Etat membre de l’Union européenne, le titulaire de la marque, fabricant du produit, ne peut plus s’opposer à l’utilisation de sa marque dans le cadre de la commercialisation dudit produit par l’importateur dans le territoire de l’Union européenne.  C’est le principe de l’épuisement des droits.

Conforme au principe de libre circulation des marchandises, la pratique des importations parallèles n’est pas prohibée. Cette pratique ne se cantonne pas à certaines industries mais touche également le marché très réglementé des médicaments.

C’est ainsi que la CJUE a notamment posé les conditions dans lesquelles le titulaire d’une marque a le droit de s’opposer à la commercialisation ultérieure d’un médicament revêtu de sa marque et importé dans un autre Etat membre lorsque l’importateur parallèle l’a reconditionné et y a réapposé ladite marque (Brystol-Myers Squibb C-427/93, C-429/93 et C-436/93).

Les trois décisions commentées ici apportent de nouveaux éclairages en la matière.

Les faits sous-jacents aux demandes de décisions préjudicielles soumises à la CJUE par les juridictions allemande et danoise dans ces affaires étaient similaires en ce qu’elles portaient sur la nécessité, avancée par les importateurs parallèles, de reconditionner les médicaments notamment du fait des contraintes linguistiques et réglementaires des pays d’importation. Les questions soumises à la CJUE concernaient ainsi notamment la licéité du reconditionnement par l’importateur parallèle et des questions plus spécifiques au droit des marques. Ces dernières sont l’objet du présent article.

Est ainsi posée la question de la licité de l’usage par l’importateur parallèle d’un nouvel emballage lorsque celui-ci porte les marques du titulaire ou, au contraire, si celles-ci sont absentes ou uniquement partiellement reproduites.

Concernant le recours par l’importateur parallèle d’un nouvel emballage extérieur, il s’agit de savoir si le titulaire d’une marque pouvait s’opposer à la commercialisation de son médicament reconditionné lorsque le ré-étiquetage est possible pour la commercialisation du produit dans l’Etat membre d’importation.

La Cour considère tout d’abord que le reconditionnement par le ré-étiquetage ou en changeant l’emballage extérieur d’origine constituent des formes de reconditionnements équivalents, aucun ne prévalant sur l’autre. Elle ajoute que la reconnaissance du droit d’un commerçant parallèle à commercialiser dans un nouvel emballage un produit revêtu d’une marque sans autorisation de son titulaire équivaut à lui reconnaître une faculté normalement réservée à ce titulaire - à savoir celle d’apposer la marque sur le nouvel emballage.  La Cour considère ainsi qu’un tel reconditionnement dans un nouvel emballage «constitue une ingérence plus profonde dans les prérogatives dudit titulaire que la commercialisation du produit dans son emballage d’origine réétiqueté».

La Cour conclut que le titulaire d’une marque peut s’opposer à la commercialisation de son produit par un importateur parallèle dans un nouvel emballage extérieur sur lequel est apposée sa marque lorsque le ré-étiquetage est «objectivement possible» dans le respect des textes applicables et que l’emballage, ainsi réétiqueté, n’empêche pas l’accès effectif du médicament au marché de l’Etat d’importation.  La Cour laisse ainsi les juridictions nationales apprécier quand le ré-étiquetage est « objectivement possible ».

D’un point de vue du droit des marques, la Cour aborde les conditions dans lesquelles les fabricants de médicaments, titulaires de droits de marques, peuvent s’opposer à la pratique des importateurs parallèles de ne pas reproduire les marques ou de n’en reproduire qu’une partie après le reconditionnement des médicaments.

S’il peut reconditionner un médicament dans un nouvel emballage externe, le commerçant parallèle doit cependant laisser intact le conditionnement primaire – ou l’emballage interne constitué des plaquettes thermoformées - qui mentionne notamment le nom du médicament et la dénomination sociale du titulaire de l’autorisation de mise sur le marché ; signes souvent protégés à titre de marques du fabricant du médicament.

Ainsi, lorsque l’importateur parallèle procède au «démarquage», c’est-à-dire lorsque la marque du fabricant n’est pas réapposée sur le nouvel emballage extérieur, ce dernier mentionne néanmoins la correspondance avec la marque du titulaire et le conditionnement primaire placé à l’intérieur du nouvel emballage externe est revêtu de cette marque. 

Dans ce contexte, la Cour considère que le titulaire de la marque peut s’opposer à la commercialisation du médicament reconditionné par l’importateur parallèle si la marque a été remplacée par une marque différente sur le nouvel emballage extérieur et celui-ci y fait référence ou que le conditionnement primaire revêt ladite marque.

Enfin, la Cour était également saisie de l’hypothèse dans laquelle les marques ou les autres signes distinctifs du fabricant ne figurent que partiellement sur le nouvel emballage extérieur du médicament reconditionné par l’importateur parallèle. La CJUE considère que le titulaire peut s’opposer à la commercialisation du médicament reconditionné dans un nouvel emballage si la présentation du produit est de nature à nuire à la réputation de la marque ou de son titulaire ou qu’elle ne permet pas - ou difficilement - au consommateur d’identifier la provenance dudit médicament.  Les juridictions nationales devront ainsi apprécier si une telle atteinte ou une telle confusion quant à l’origine des médicaments existe.

Comme l’écrivait l’avocat général Szpunar dans ses conclusions du 13 janvier 2022 : «les droits conférés par les marques sont l’arme de défense des fabricants contre le commerce parallèle» et les arrêts partiellement commentés ci-dessus en sont l’illustration.  Il conviendra cependant de suivre comment les juridictions nationales vont les appliquer.

Olivia Bernardeau-Paupe, associée chez Dechert

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