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Clap de fin pour les sociétés vétérinaires radiées

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Clap de fin pour les sociétés vétérinaires radiées
© Markus Winkler - Unsplash

Le 10 juillet 2023, le Conseil d’Etat a rendu quatre arrêts attendus depuis plusieurs années sur des décisions de radiations de sociétés vétérinaires prononcées par des Conseils régionaux de l’ordre des vétérinaires et confirmées en appel par le Conseil national de l’ordre des vétérinaires («CNOV»).

Ces décisions, riches d’enseignement sur l’organisation des chaines de cliniques vétérinaires, obligent à singulièrement revisiter la manière dont les investisseurs extérieurs, légalement autorisés à prendre une participation limitée dans ces sociétés réglementées, peuvent contrôler leur investissement, que ce soit dans la forme et les moyens juridiques que celui-ci peut prendre.

La portée du contrôle de l’Ordre

Sur la forme du contrôle tout d’abord, le Conseil d’Etat confirme que l’Ordre est habilité à vérifier le respect de la réglementation applicable non seulement au regard des stipulations statutaires mais également de toutes disposition extrastatutaire ainsi que des engagements contractés au bénéfice de tiers (ex. promesse de vente). Si ces derniers privent d’effets, le cas échéant par leur conjonction, les garanties prévues en matière d’indépendance professionnelle des vétérinaires associés exerçants, l’Ordre peut prononcer la radiation des sociétés ainsi considérées comme ne respectant pas ces exigences.

Le respect du pouvoir décisionnel des associés exerçants

Sur le fond, dans ces affaires, l’Ordre avait rappelé que la répartition inégale des droits financiers au profit des investisseurs extérieurs n’était pas contraire aux principes d’indépendance dont il est garant. Elle peut en effet être justifiée par l’inégalité des investissements financiers entre les associés.

Si le Conseil d’Etat ne revient pas expressément sur ce point, la dissociation entre droits de vote et droits financiers entre tout de même dans le faisceau d’indices utilisé pour évaluer l’effectivité du pouvoir décisionnel des associés exerçants.

Précisément, toute la difficulté vient du fait que, pour valider les décisions de radiation, le Conseil d’Etat se fonde sur le cumul de six indices conduisant à considérer que les vétérinaires n’exercent plus le contrôle effectif de leurs sociétés d’exercice professionnel.

Or non seulement ces indices ne sont pas systématiquement identiques d’une décision à l’autre. Sont notamment visées les règles de majorité et de quorum devant être atteintes pour que l’assemblée générale délibère valablement, les règles de nomination des membres du conseil d’administration ou du conseil de surveillance et les pouvoirs accordés à ces organes, les engagements des associés vétérinaires au profit des associés extérieurs (ex. cession de la totalité de leurs actions en cas de survenance d’évènements pouvant leur être extérieurs, promesse de vente pouvant être levée discrétionnairement par l’associé extérieur et possibilité pour ce dernier de désigner un nouvel actionnaire). De plus, il n’est pas jugé qu’un seul de ces indices serait suffisant pour conduire à la même conclusion. Il conviendra donc, au cas par cas, d’évaluer si les vétérinaires conservent le contrôle effectif de la société, sans que cette notion ne soit définie, et sous réserve de l’appréciation portée par l’Ordre.

Les investisseurs interdits dans les sociétés vétérinaires

Le Conseil d’Etat se montre en revanche plus libéral que le CNOV dans l’interprétation de l’interdiction des conflits d’intérêts posée par l’article L. 241-17 du Code rural et de la pêche maritime (« CRPM »).

Tout d’abord, il estime que la fourniture de «services supports» à destination de sociétés vétérinaires (par ex. gestion, assistance comptable, financière, juridique et administrative, marketing, négociation des prix) ne relève pas des activités utilisées à l’occasion de l’exercice professionnel vétérinaire prohibées par l’article L. 241-17, II, du CRPM. Ces activités peuvent donc être fournies par des sociétés détenues par des investisseurs extérieurs à la profession sans que cela ne génère de situation de conflit d’intérêt prohibé.

Le Conseil d’Etat poursuit en jugeant qu’une société détenant indirectement des parts dans le capital social d’une clinique vétérinaire peut également détenir une filiale qui fabrique et commercialise des aliments pour animaux, dès lors que cette filiale ne détient pas elle-même, que ce soit directement ou indirectement, de parts dans le capital de la société vétérinaire, ce qui est interdit.

Le Conseil d’Etat valide ensuite le fait qu’un actionnaire extérieur à la profession puisse être gérant d’un GIE qui intervient en qualité de commissionnaire à l’achat ou pour négocier les prix et conditions d’approvisionnement au profit des sociétés dont il est actionnaire, dans la mesure où le capital social de ce GIE est uniquement constitué d’apports des sociétés vétérinaires.

La délégation de la gestion d’une clinique vétérinaire

Enfin, concernant l’organisation des groupes de cliniques, bien que le CRPM n’instaure pas de limite au nombre de domiciles professionnels d’exercice que peut déclarer une société d’exercice libéral (« SEL »), le Conseil d’Etat estime que, dans la mesure où l’objet en est l’exercice en commun de la profession vétérinaire, il n’est pas possible de déléguer de façon permanente la gestion d’un lieu d’exercice à un vétérinaire salarié ou collaborateur libéral. En conséquence, une SEL doit désormais s’assurer qu’au moins un de ses vétérinaires associés exerce, au moins à temps partiel (50% d’après les conclusions du rapporteur public), sa profession dans chacun de ses domiciles professionnels d’exercice.

Ces décisions marqueront certainement un tournant, à la fois pour les réseaux de sociétés vétérinaires, voire pour d’autres professionnels de santé, qui ne pourront pas faire l’économie de la relecture de leurs schémas d’investissement à la lecture des principes dégagés par le juge administratif.

En pratique toutefois, le Conseil d’Etat a eu la sagesse de dégager un faisceau d’indices plutôt qu’un principe d’interdiction pure et simple. Il appartiendra aux Ordres d’en faire une application cohérente pour permettre aux investisseurs de bénéficier des contrôles inhérents et proportionnés au risque lié à l’investissement.

Sophie Pelé (associée) et Margaux Lasseigne (collaboratrice)

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