Zoom sur la place de l’hydrogène dans les scénarios de neutralité carbone en 2050 de l'Ademe
Dans son rapport « Transition(s) 2050 » sortie fin 2021, l'Agence de la transition écologique (Ademe) propose quatre scénarios permettant à la France d'atteindre la neutralité carbone d'ici le milieu du siècle, pour tenter de limiter le réchauffement climatique à +2°C en 2100. À l'occasion de la quatrième rencontre de la transition industrielle, l'Ademe est revenue sur ce qu'impliquaient ces différents choix de sociétés pour l'industrie en termes de consommation d'hydrogène.
Quel chemin l’industrie doit-elle emprunter pour participer à l’objectif de neutralité carbone ? L’Agence française de la transition écologique (Ademe) a organisé, vendredi 14 janvier, une rencontre de la transition industrielle pour présenter les hypothèses et résultats de son rapport « Transition(s) 2050 », en zoomant sur l’intérêt du vecteur-hydrogène dans la décarbonation de l’industrie.
Publié fin novembre 2021, « Transition(s) 2050 » esquisse quatre choix de sociétés – de la plus frugale à la plus techno-solutionniste – permettant à la France d’atteindre la neutralité carbone d’ici le milieu du siècle. « C’est un chemin difficile, tous nos scénarios reposent sur des paris humains ou technologiques forts », soulève Valérie Quiniou, directrice exécutive de la prospective et de la recherche chez l’Ademe. Dans les quatre récits proposés par l’Ademe, l’hydrogène fait partie des technologies déployées pour aider les industries les plus polluantes à réduire leurs émissions. Analyse.
La société frugale : l’hydrogène pour décarboner le gaz du réseau
Dans le scénario « Génération frugale », l’Ademe pousse le curseur « sobriété » à son maximum. « Les modes de vie évolueraient de manière drastique : la consommation de viande y est par exemple divisée par trois, la consommation d’énergie par deux, raconte Mme Quiniou. C’est une société qui favorise le made in France et le low tech, où peu de constructions nouvelles verraient le jour (préférant l’intensification d’usage des bâtiments). »
Paradoxalement, la consommation d’hydrogène doublerait, passant de 20 TWh d’hydrogène consommés à 55,2 TWh milieu du siècle. La grosse majorité de la molécule légère serait utilisée par le secteur « power-to-gas ». « Le vecteur hydrogène serait essentiellement là pour décarboner le réseau de gaz. Seuls des électrolyseurs de petite taille seraient installés, aucune rupture technologique dans le domaine n’est nécessaire », note Quentin Minier, ingénieur prospective au service industrie de l’Ademe.
Estimation de la quantité d'hydrogène consommée (en TWh) en fonction des secteurs considérés dans le scénario 1 du rapport Transition(s) 2050. © Ademe
Pour quel bilan ? Les puits biologiques seraient ici suffisants pour maîtriser les émissions de gaz à effet de serre, sans recours aux technologies de capture du carbone (CCS) : de 401 mégatonnes de CO2 équivalent (MtCO2eq) émises en 2015, la France passerait à un bilan de - 42 MtCO2eq en 2050. « Grâce à la protection des forêts et des sols, avec un changement des pratiques agricoles notamment, les puits biologiques seraient de bien meilleure ampleur qu’aujourd’hui, explique la directrice de l’Ademe. Nous aboutirions à un taux négatif de l’absorption, une assurance vis-à-vis des potentiels effets du changement climatique sur la forêt. Ce scénario nous semble toutefois risqué du point de vue de l’acceptabilité sociale, les échéances sont courtes et permettraient peu de discussions ou d’accompagnement », nuance-t-elle.
La coopération territoriale : une utilisation de l’hydrogène intense
Dans le scénario « Coopérations territoriales », l’Ademe met l’accent sur le développement de villes moyennes (et non pas des mégalopoles), très interdépendantes. « Nous sommes ici sur une démarche de partage des biens plutôt que de possession, imagine Valérie Quiniou. La réindustrialisation de certains secteurs serait accompagnée par des politiques publiques, afin de privilégier le local. La consommation de viande serait divisée par deux, la consommation d’énergie réduite d’un peu plus de 50%... mais à l’aide de vecteurs sensiblement différents que dans le premier scénario. »
Parmi les vecteurs, l’hydrogène tiendrait un rôle de premier plan : la consommation d’hydrogène serait près de cinq fois plus importante, atteignant 95,7 TWh consommés en 2050. Contrairement au premier scénario, où 19 % de l’hydrogène serait encore issu d’énergie fossile (gaz ou pétrole), l’ensemble de l’hydrogène serait ici produit à partir de l’électrolyse de l’eau (donc de l’électricité). « D’ici 2050, 30,1 GW d’électrolyseurs devraient être installés », commente Loïc Antoine, ingénieur hydrogène pour l’Ademe. En plus de la conversion progressive des usagers historiques de l’hydrogène (engrais, méthanol), de nouveaux consommateurs émergeraient : la mobilité lourde (camion, train), l’acier, le power-to-gas.
Estimation de la quantité d'hydrogène consommée (en TWh) en fonction des secteurs considérés dans le scénario 2 du rapport Transition(s) 2050. © Ademe
Dans ce scénario, les puits biologiques, plus exploités que dans le premier récit, ne seraient pas suffisants pour compenser les émissions. « Les technologies de capture de carbone seraient déployées pour compenser les émissions résiduelles, mais de manière marginale (pour l’industrie du ciment par exemple) », explique M. Minier. D’après l’Ademe, une France qui mise sur les coopérations territoriales atteindrait un bilan de - 28 MtCO2eq en 2050.
Les technologies vertes : le recours aux importations d’hydrogène
Dans le scénario « technologies vertes », l’Ademe parie sur les technologies numériques, une exploitation massive de la biomasse (pour la méthanisation) et sur l’efficacité énergétique pour décarboner l’énergie et l’industrie. La vie en métropole serait plus intense. « C’est un scénario où l’on tente, au mieux, de maintenir les modes de vie actuels, déclare Valérie Quiniou. La consommation d’énergie diminuerait tout de même de 40% par rapport à 2015, en grande partie grâce à l’efficacité énergétique. Nous devrions ici démolir massivement les bâtiments actuels, pour les reconstruire en accord avec les normes de performance », raconte-t-elle.
La consommation d’hydrogène atteindrait des sommets : près de 94 TWh seraient consommés en 2050. De telles quantités seraient rendues disponibles grâce aux 28,8 GW d’électrolyseurs installés en France et au recours à l’importation. « Plus de la moitié de l’hydrogène serait d’origine importée, souligne Loïc Antoine. C’est le seul scénario où la mise en place de pipelines hydrogène à travers l’Europe s’avère indispensable. Le stockage en cavité saline de l’hydrogène serait également déployé (55 TWh de capacité), ce qui permettrait de pousser la mise en place d'électrolyseurs couplés aux énergies renouvelables », détaille-t-il.
Estimation de la quantité d'hydrogène consommée (en TWh) en fonction des secteurs considérés dans le scénario 3 du rapport Transition(s) 2050. © Ademe
Dans ce scénario, le bilan est plus tendu : une France qui parie sur les solutions technologiques atteindrait un bilan de - 9 MtCO2eq en 2050. « La forêt est très exploitée dans ce scénario, les puits biologiques ne sont pas du tout suffisants et nous disposons de moins de garantis sur les effets du changement climatique, alerte Valérie Quiniou. Les technologies de capture de carbone sont ici requises, de même que les bioénergies avec captage et stockage du carbone (BECCS). » Ces dernières n’étant pas encore déployées à l’échelle industrielle.
Le pari réparateur : beaucoup de puits technologiques, peu d’hydrogène
Dans le scénario « Pari réparateur », les industries se décarbonent quasi-exclusivement par le biais des technologies de capture de carbone. La biomasse est exploitée de manière intensive, l’intelligence artificielle est rendue indispensable pour optimiser toutes sortes de consommation. « Ici, les modes de vie restent inchangées. La réduction de la consommation énergétique est faible : seulement 23% en moins par rapport à aujourd’hui », note Valérie Quiniou.
L’hydrogène y tiendrait un rôle marginal : seulement 35,6 TWh d’hydrogène seraient consommés d’ici 2050, ce qui nécessiterait la mise en place de 4,8 GW d’électrolyseurs. C’est moins que le cap que s’est déjà fixé la France, via sa stratégie hydrogène, qui compte installer 6,5 GW d’électrolyseurs à horizon 2030. « Les consommateurs industriels d’hydrogène historiques auraient recours aux technologie de capture de carbone, donc n’investiraient pas sur l’hydrogène, détaille Loïc Antoine. Côté mobilité, les fortes avancées technologiques sur les batteries limiterait également le déploiement de l’hydrogène. »
Estimation de la quantité d'hydrogène consommée (en TWh) en fonction des secteurs considérés dans le scénario 4 du rapport Transition(s) 2050. © Ademe
La marge de manœuvre, en cas d'aléas, est très faible : la France émettrait toujours + 1 MtCO2eq en 2050. « En plus du déploiement des technologies CCS et BECCS, la neutralité carbone ne peut pas être atteinte dans ce scénario sans le recours au captage du CO2 directement dans l’atmosphère… c’est un pari, car il s’agit de technologies aujourd’hui très peu matures, pour ne pas dire embryonnaires. Avec le premier scénario, c’est celui qui nous semble le plus risqué : nous retardons nos changements de consommation d’énergie en pariant sur des puits technologiques pour réparer nos émissions », avertit la directrice exécutive de la prospective et de la recherche chez l’Ademe.
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