"Zodiac n’a pas mené assez de rationalisation des sites", pour son patron, Yann Delabrière
Alors que Safran est en passe d’acquérir Zodiac, le patron transitoire du spécialiste de la cabine d’avions revient sur le redressement du groupe. La rationalisation doit être enclenchée.
Nommé en juin 2017 en remplacement d’Olivier Zarrouati au poste de président du Directoire de Zodiac, Yann Delabrière aura 9 mois durant accéléré le redressement de l’équipementier aéronautique. Le dirigeant s’apprête à prendre la présidence d’Idemia (issu du rapprochement entre Morpho et Oberthur Technologies) et à passer le relais à Safran, qui avait lancé son offre d’achat de Zodiac en janvier 2017 et détient aujourd'hui 80% du capital. Il explique en détail les points faibles du groupe et ce qu’il a fallu mettre en place pour y remédier.
L'Usine Nouvelle - Les retards de livraisons et de qualité avec vos clients, et notamment Airbus, sont-ils résolus ?
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Yann Delabrière - Zodiac Aerospace n’a plus de retards de livraisons. Nous livrons conformément au planning défini avec nos clients. Pour autant certains programmes restent en tension et font l’objet de plans d’action spécifiques. Le plan de redressement opérationnel du Groupe commence à donner des résultats, mais il faudra entre 18 mois et deux ans à partir d’aujourd’hui pour qu’il porte pleinement ses fruits. Sur le plan de la gestion de notre trésorerie, nous avons baissé nos stocks et nous parvenons à faire diminuer nos créances avec nos clients, ce qui nous permet de relancer nos investissements. Mais surtout, l’amélioration de nos performances opérationnelles a facilité la normalisation de nos relations avec nos clients. La première de mes priorités était de rétablir nos relations avec nos clients, sur des bases de transparence, de respect des engagements et d’écoute.
Quelles défaillances avez-vous décelées lorsque vous êtes entré chez Zodiac ?
Zodiac Aerospace a connu une expansion remarquable et a eu le talent de constituer à partir de multiples acquisitions un ensemble équipementier aéronautique mondial. Son portefeuille de produits est quasiment unique. En revanche, le groupe n’a pas su construire de systèmes opérationnels. Ceci est bien connu des équipementiers automobiles : lorsque vous êtes dans une activité répartie partout sur la planète, il faut un degré fort de décentralisation pour que les différentes unités en contact avec les clients puissent avoir conservé leur autonomie. Il ne faut pas brider ces unités mais les laisser interagir avec les clients. Cela nécessite que cette entreprise décentralisée soit structurée par des systèmes opérationnels, autrement dit des méthodes de travail communes et un alignement sur la manière dont on procède avec les clients.
D’où l’importance du reporting ?
Non, pas du tout ! Le reporting n’est pas une fin en soi, mais un outil. Il faut éviter d’avoir trop de reporting, nécessitant trop de temps pour le passer en revue. Au contraire, il faut passer du temps sur le terrain. C’est la seule manière de savoir comment une entreprise fonctionne et de savoir ce qui se cache derrière les chiffres. J’ai réalisé de nombreuses visites de sites et consacrer l’essentiel de mon temps à visiter les usines. Et cette démarche concerne tout le management.
Qu’a-t-il fallu améliorer ?
Les faiblesses concernaient surtout les activités sièges et cabines, aux Etats-Unis et en Grande Bretagne. Dans ces sites, les équipes avaient une grande difficulté à maîtriser des programmes et tenir les délais sur l’ensemble des phases de développement, préparation de l’industrialisation et montée en cadence. La difficulté majeure réside dans le fait que ces actions doivent être assurées en cohérence : vous ne pouvez pas être sûr de la qualité d’un produit si vous ne savez pas comment vous allez le produire. Le produit est indissociable du process : l’ingénieur qui dessine le produit doit aussi se préoccuper de la façon dont il sera assemblé. Dans l’automobile, c’est ce que l’on appelle le produit-process : le produit et le process sont élaborés en même temps.
Comment expliquer l’absence de telles méthodes chez Zodiac ?
Cette évolution est relativement récente dans l’aéronautique et n’a pas encore touché les méthodes opérationnelles. Zodiac était en retard à ce niveau. La clé d’une bonne gestion de programme réside dans le fait d’avoir dès le début une vision complète de toutes les étapes de développement du programme. Il ne faut pas oublier que l’industrie aéronautique est rentrée depuis peu dans une phase où la taille des séries a augmenté et où les exigences du client final ont beaucoup changé. Il y a dix ans, les équipementiers réalisaient des séries relativement faibles et avec des clients qui étaient encore pour certaines des entreprises publiques peu dynamiques. Aujourd’hui, la taille des commandes a augmenté et les compagnies aériennes sont réglées comme du papier à musique, pour lesquelles un retard de quelques jours devient un problème essentiel. Ces deux effets cumulés ont changé le niveau d’exigence de l’industrie aéronautique.
Et qu’en est-il de la transformation au niveau de vos sous-traitants ?
Nous nous sommes posé la question de savoir avec quels fournisseurs nous voulions travailler. Car il est vrai que certains d’entre eux ont de grande difficulté à passer ce cap. Nous cherchons à réduire le nombre de fournisseurs sur les programmes récents, tels que l’A350, le Global 7000, le CSeries et le 787. Toutefois, dans l’industrie aéronautique ces évolutions sont lentes en raison de la certification qui rend plus difficile les modifications en cours de programme.
Comme cela avait été mentionné par Philippe Petitcolin, le patron de Safran, allez-vous devoir réorganiser vos sites aux Etats-Unis ?
Le groupe n’a pas mené assez de rationalisation des sites, essentiellement en Amérique du nord. Nous sommes en train de fermer quelques de sites, dont les activités vont être transférées vers des sites existants. Par exemple les activités de sièges pour avions régionaux, qui étaient réalisées à Rancho Cucamonga, près de Los Angeles, sont en train d’être transférées à Gainesville au Texas. Dans la branche Cabin, nous avons commencé à réduire le nombre de sites en Californie du Sud, en transférant les activités vers d’autres sites de la branche ou au Mexique. Mais il reste encore des rationalisations à faire. Par exemple, nous avons trois sites fabriquent les mêmes toilettes de l’A350 parce qu’au début du programme nous ne parvenions pas à tenir les cadences. Ce sera à Safran de se pencher sur l’empreinte industrielle de Zodiac aux Etats-Unis et en Europe.
Comment expliquez-vous cette concentration des difficultés aux Etats-Unis ?
La forte présence de Zodiac Aerospace aux Etats-Unis est le résultat de nombreuses acquisitions faites au fil du temps et qui n’ont pas été complétement maîtrisées. Cela n’a pas été géré de façon homogène. Une partie du problème au niveau des cabines provient d’une fuite des compétences dans une région de Los Angeles très dynamique en termes d’emploi dans laquelle si on ne gère pas correctement ses ressources humaines, on est vite exposé à des difficultés. Il y a eu des pertes de compétences dans certains sites. En Grande-Bretagne, il s’agissait d’un manque de planification des ressources, en particulier dans l’ingénierie et l’industrialisation.
Comment avez-vous assuré la transition avec la prise de contrôle de Safran ?
Tout d’abord, nous avons travaillé sur les trois priorités que j’avais fixées : rétablir les relations avec nos clients, améliorer nos performances opérationnelles et relancer l’innovation et les investissements. Aujourd’hui Zodiac Aerospace aborde avec beaucoup plus de sérénité son rapprochement avec Safran. Sur le plan des ressources humaines, nous avons travaillé à générer les process pour identifier les quelque 300 managers qui conduisent l’entreprise. Concrètement, cela a consisté à estimer le potentiel de ces collaborateurs qui font tourner l’entreprise et pilotent la transformation de Zodiac, leurs points forts et leurs points faibles. Nous avons défini des parcours professionnels, afin qu’ils acquièrent une expérience diversifiée en termes de compétences et en termes géographiques, pour demain trouver toute leur place de manager au sein du groupe Safran-Zodiac.
Propos receuillis par Olivier James
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