Utiliser le CO2 de l'air pour rendre les SAF plus durables
Pour décarboner le secteur aérien, une des voies étudiées est la production de carburants d'aviation durables (SAF). Le projet AtmosFuel porté par LanzaTech et Carbon Engineering vise à se rapprocher de la neutralité carbone grâce à la technologie de capture directe de l'air.
À l'heure de la lutte contre le changement climatique, l'un des enjeux majeurs est la décarbonation de tous les secteurs. Et la Commission européenne met la barre haute : elle vise à réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) totales de l'Union européenne d'ici à 2030, par rapport au niveau de 1990 (programme Fitfor55). Un objectif qui va pousser de nombreux secteurs à accélérer leur décarbonation, notamment le transport aérien. Responsable de près de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, le secteur aérien s'est donné pour objectif de réduire de 50 % ses émissions de dioxyde de carbone (CO2) d'ici à 2050 par rapport au niveau de 2005. Pour ce faire, les projets se multiplient, notamment la production de biocarburants et de carburants synthétiques à plus faible empreinte carbone. C'est le cas notamment de la société LanzaTech, spécialisée dans le recyclage du carbone par voie de biotechnologie en produits chimiques. Elle a signé un partenariat avec la société Carbon Engineering qui a développé une technologie de capture directe de l'air (DAC). Ce projet, baptisé AtmosFuel, a été financé dans le cadre du programme UK DfT Green Fuels Green Skies et vise à étudier la faisabilité d'une installation commerciale de production de carburant d'aviation durable (SAF) au Royaume-Uni, à partir de CO de l'air. Les partenaires espèrent être en mesure de produire 100 millions de litres de SAF par an dans cette seule unité, dont la localisation reste à préciser. 2
Pour réussir cette industrialisation, les deux sociétés veulent combiner quatre technologies sur le même site. À savoir : « une production d'hydrogène vert, la fermentation du gaz et la technologie Alcohol-to-Jet de LanzaTech, et notre technologie de DAC », explique Amy Ruddock, vice-présidente Europe de Carbon Engineering. « Cette étude de faisabilité portera sur la possibilité de réunir ces quatre technologies différentes pour la première fois sur un seul site. Elles ont toutes été prouvées séparément », confirme Jim Woodger, directeur général de LanzaTech UK. Avant de poursuivre : « Nous avons besoin de deux matières premières : le CO2 et l'hydrogène. Le CO2 sera fourni par la technologie de DAC de Carbon Engineering. En ce qui concerne l'hydrogène, nous travaillons à une possible production par électrolyse de l'eau. Les deux seront ensuite envoyés dans une unité de fermentation des gaz pour produire de l'éthanol, qui sera ensuite transformé en SAF via l'unité d'Alcohol-to-Jet (voir encadré) ».
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Capter le carbone dans l'atmosphère
Si certains vont chercher le CO2 dans les fumées de sites industriels car sa concentration est importante, Carbon Engineering a choisi d'aller capter le CO2 directement dans l'atmosphère, et ce, malgré sa plus faible concentration, par opposition aux technologies concurrentes ne s'appliquant qu'à proximité d'industries fortement émettrices de carbone. Concrètement, Carbon Engineering a mis au point une technologie qui permet de concentrer le CO2 présent dans l'atmosphère en se basant sur deux boucles chimiques fermées. La première boucle permet de transformer le CO2 en carbonate de calcium (CaCO3). Dans le détail, le CO2 est capté par des ventilateurs avant de réagir avec un solvant, l'hydroxyde de potassium (KOH). « Nous utilisons le solvant comme une éponge. Nous absorbons le dioxyde de carbone et le solidifions sous forme de carbonate de potassium (K2CO3) », explique Amy Ruddock. Le K2CO3 réagit ensuite avec de l'hydroxyde de calcium (Ca(OH)2) afin de produire du KOH et du CaCO3. Le KOH est ensuite réutilisé pour réagir de nouveau avec du CO2 en début de boucle. Dans la seconde boucle chimique, le CaCO3 est calciné, permettant ainsi la libération du CO2 concentré. Cette dernière réaction produit également de l'oxyde de calcium (CaO) qui, en réagissant avec de l'eau, permet de régénérer du Ca(OH)2. « Une fois que nous avons capté ce CO2, nous pouvons au choix le stocker dans le sol, ce qui serait une émission négative de carbone. Ou alors, nous pouvons l'utiliser pour, par exemple, produire des carburants, ce qui permet de créer un cycle neutre en carbone », appuie Amy Ruddock. Le CO2 ainsi concentré pourra ensuite être utilisé dans les fermenteurs de gaz de LanzaTech pour produire de l'éthanol, avant que celui-ci soit transformé en SAF.
Des technologies validées à l'international
Afin de mettre en place le projet AtmosFuel, LanzaTech et Carbon Engineering s'appuient sur des technologies qui ont déjà été déployées à l'échelle mondiale. Par exemple, Carbon Engineering vend des licences de sa technologie de DAC à 1PointFive, une coentreprise entre la société Oxy Low Carbon Ventures et différentes sociétés d'investissement. « Le groupe va construire 27 unités de capture directe de l'air », annonce Amy Ruddock. À terme, Oxy Low Carbon Ventures espère que des centaines d'unités de DAC seront construites à travers le monde. 1PointFive devrait démarrer en 2022 la construction, aux États-Unis, de la plus grande unité de DAC au monde : celle-ci devrait être en capacité de capturer un million de tonnes de CO2, chaque année. Des travaux d'ingénierie ont été lancés au sujet d'une future unité au Royaume-Uni, d'une capacité de capture comprise entre 500 000 et 1 Mt/an de CO2. En ce qui concerne la première unité commerciale de fermentation de gaz de LanzaTech, elle a déjà produit plus de 75 millions de litres d'éthanol à Caofeidian (Chine) et une deuxième unité a démarré cette année, à Gand (Belgique). La société travaille également avec le gouvernement britannique et d'autres partenaires industriels à la construction d'une unité d'Alcohol-to-Jet, au sud du Pays de Galles. « L'objectif du projet AtmosFuel est le DAC et comment l'intégrer dans le processus de production de SAF », pointe Amy Ruddock. Ce que confirme Jim Woodger : « Nous allons étudier les options d'intégration des différentes technologies. Par exemple, si une unité a besoin de plus de chaleur, et qu'une autre dégage de la chaleur, comment allons-nous intégrer cela de façon à obtenir le processus le plus efficace possible ? ». Avant de conclure : « Nous allons faire une évaluation de la consommation totale d'énergie nécessaire en combinant ces quatre technologies, et évaluer la possibilité de disponibilité d'énergie au Royaume-Uni. D'ici huit mois, nous devrions connaître l'emplacement idéal.»
LANZATECH TRAVAILLE ÉGALEMENT SUR L'ATJOutre son procédé de SAF à base de CO2, LanzaTech a développé une technologie Alcohol-to-Jet (AtJ) grâce à un partenariat avec le Pacific Northwest National Laboratory (PNNL). Exploité par LanzaJet, filiale de LanzaTech, ce procédé catalytique peut utiliser de l'éthanol provenant de toute ressource durable, à partir de déchets solides municipaux, de résidus agricoles, de gaz d'échappement industriels, de biomasse, ou encore obtenu grâce au procédé de « recyclage de pollution » de LanzaTech. Ce processus convertit l'éthanol en kérosène paraffinique synthétique et en diesel paraffinique synthétique. Ces carburants correspondent aux normes et spécifications rigoureuses concernant notamment le carburant d'aviation. Selon LanzaJet, ils permettent de réduire les émissions de GES, se qualifient pour des crédits de carburant renouvelable et sont certifiés de manière indépendante pour leurs avantages en matière de durabilité. Le SAF pourrait être intégré en drop in à 50 % dans du carburant d'aviation Jet A conventionnel.