[TRIBUNE] Pour la motorisation aéronautique, la priorité chinoise sera militaire
L’annonce début mars par le géant chinois Avic de la création d’un conglomérat chargé de produire des moteurs d’avions a été tout sauf une surprise. La Chine qui s’est déjà lancé dans l’assemblage d’avions comptait bien un jour à l’autre faire sauter le dernier verrou technologique aéronautique qui lui permettait de prétendre à des appareils 100% chinois. Mais cette ambition concerne au premier chef le secteur militaire, selon Jean-François Dufour, expert au sein du cabinet Montsalvy-Consulting.
La formation du China Aircraft Engine Group, qui regroupera tous les acteurs importants de la motorisation aéronautique en Chine, vient de franchir un pas avec l’annonce de la nomination de ses deux principaux dirigeants. Alors que tous les regards sont tournés vers la motorisation du C919, l’avion de ligne développé par la Chine, le parcours de ses deux futurs patrons indique que la priorité de la nouvelle entité portera sur le secteur militaire.
Certes, le développement à terme d’une version à motorisation nationale est un objectif du programme C919, le moyen-courrier en cours de développement par la Comac (Commercial Aircraft Corp. of China), que le motoriste devra satisfaire. Mais le tandem de dirigeants qui vient d’être annoncé pour China Aircraft Engine, indique que la priorité sera donnée à la motorisation des avions de combat, sur le développement desquels le pays est nettement plus avancé – à l’exception, justement, de ce point faible stratégique.
VOS INDICES
source
Des parcours liés à la Défense
Le président annoncé pour China Aircraft Engine, Cao Jianguo, ne vient en effet pas de la holding AVIC (Aviation Corp. of China), qui chapeaute l’essentiel de l’aéronautique en Chine, ni de la CASC (China Aerospace Science & technology Corp.), spécialiste du domaine spatial par où étaient passés les dirigeants de Comac.
Il est transféré depuis la direction générale du troisième acteur majeur du secteur aéronautique en Chine, la Casic (China Aerospace Science and Industry corp.). Or la Casic, principal producteur de missiles de Chine, est un groupe essentiellement orienté vers la Défense.
Le Directeur général annoncé pour China Aircraft Engine, Li Fangyong, vient pour sa part du conglomérat AVIC, dont il occupait une vice-présidence. Mais le détail de son parcours renforce l’idée d’une priorité donnée à la motorisation militaire. Pendant sa carrière chez AVIC, Li Fangyong a en effet notamment été directeur général de Shenyang Aircraft, l’une des principales filiales du conglomérat, entre 1999 et 2007.
Soit l’époque où Shenyang Aircraft a produit le chasseur J11. Or ce dernier est un dérivé chinois du Sukhoi Su27 pour lequel les ingénieurs chinois ont réussi à se passer au bout de quelque temps de leur fournisseur russe… sauf pour les réacteurs.
Priorité sur le militaire
Confirmation de cette vulnérabilité stratégique, le premier chasseur entièrement développé par la Chine, le J10, entré en service en 2004, utilise le même réacteur russe que le J11. Alors que le pays est engagé aujourd’hui dans le développement de générations plus avancées d’appareils de combat, remédier à cette situation est clairement la priorité qui sera assignée à China Aircraft Engine.
Les chasseurs furtifs J20 et J31, qui ont fait leurs premiers vols en 2011 et 2012, sont probablement testés à la fois avec des réacteurs russes, et d’autres en cours de développement, de conception chinoise. La mise au point de ces derniers est une urgence, alors que l’entrée en service du J20 est prévue pour 2018.
Le C919, et les programmes de plus gros porteurs déjà prévus pour lui succéder, devraient également être l’objet de l’attention de China Aero Engine, mais avec un peu moins d’urgence. Cet appareil devrait certes faire son premier vol cette année. Mais comme tous les grands programmes aéronautiques civils, il est prévisible qu’il prenne du retard et l’objectif officiel d’une entrée en opérations en 2018 paraît peu réaliste.
Son prédécesseur l’ARJ21, qui doit entrer en opérations cette année également, avait fait son premier vol en 2008. Il a certes permis d’engranger une expérience qui servira au C919, mais le passage de huit à deux ans pour arriver à un appareil opérationnel paraît ambitieux. Si le nouveau motoriste national disposera donc certainement de quelques années de plus pour mettre au point une solution nationale pour l’aéronautique civile, la Force aérienne de l’Armée populaire de libération sera moins patiente.
Jean-François Dufour, expert au sein du cabinet Montsalvy-Consulting
Les avis d'experts et points de vue sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs et n’engagent en rien la rédaction.
SUR LE MÊME SUJET
1Commentaire
Réagir