[Tribune] Le dirigeant d'entreprise doit aussi faire sa 4e révolution industrielle
Page Executive a organisé une table ronde sur le thème du leadership au XXI e siècle. Matteo Guerra, directeur associé de Page Executive livre en exclusivité pour les lecteurs de L'Usine Nouvelle, une synthèse des conclusions de cette rencontre. Pour lui, le management aussi doit changer pour s'adapter aux nouvelles évolutions du monde du travail. Il devra notamment apprendre encore plus qu'aujourd'hui à faire cohabiter dans la durée salariés et indépendants autour d'un projet.
La 4ème révolution industrielle – ou technologique – impacte profondément l’entreprise dans son organisation : aplatissement de la hiérarchie, immédiateté de l’information, devoir de transparence et de réactivité dans un contexte mouvant, globalisé et hautement concurrentiel. Le changement de rapport au travail oblige par ailleurs à un lâcher prise managérial et appelle des leaders plus agiles, capables d’incarner une vision tout en laissant une place toujours plus importante aux collaborateurs.
L’entreprise 4.0 : un modèle revisité
Les modes de production, de stockage, de distribution ont évolué. Ils impliquent de nouveaux modes de travail par projets, par équipes d’experts agrégées, de plus en plus hors les murs pour inventer une réactivité plus grande dans les réponses au marché, avec des logistiques et des processus d’implantations totalement révisés. L’expertise technique et numérique devient essentielle et les projets se changent en missions pouvant être effectuées par des collaborateurs externes, des freelances, salariés de SSII, ... Se tourner vers ces profils permet de contourner les difficultés de recrutement de profils experts rares, d’éviter certaines lourdeurs du code du travail français et de gagner en flexibilité pour plus de compétitivité (gestion des coûts, réactivité, agilité).
Sans cesse confrontée à des risques de concurrence accrue des jeunes pousses qui peuvent « uberiser » à tout moment leur modèle économique, les entreprises seront de plus en plus amenées à placer la gestion de l’actif humain et des talents au centre de leurs préoccupations, comme l’indiquait le DRH d’Altran Eric Bachellereau récemment lors de la conférence "Quel leadership dans l'entreprise 4.0 ?". D’autant que la nature des emplois va changer beaucoup plus rapidement que pour les générations précédentes, obligeant les professionnels à se former tout au long de leur vie. Recherche constante de spécialisation ou expertise évolutive - car vouée à devenir obsolète avec les nouveaux outils - seront certaines des clés de ces carrières nouvelle génération. Un aspect que Clément Monteil, étudiant à l’ESSEC également présent lors de la conférence, a parfaitement intégré : "Je sais que ma vie sera faite de formation continue et que ma formation actuelle n’est qu’un passage".
Le dirigeant confronté à de nouvelles approches RH
Parmi les nouveaux défis des dirigeants : la gestion de collaborateurs internes et externes, la question des salariés en CDI (ressources pérennes de l’entreprise) vs l’expertise projet, temporaire, de travailleurs indépendants par exemple. Il s’agissait jusqu’ici de conserver et développer les salariés de l’entreprise, il faut aujourd’hui construire le collectif entre collaborateurs internes et externes. Or ces derniers peuvent apparaître comme des menaces pour les salariés pérennes de l’entreprise. Serons-nous amenés à encourager les salariés aujourd’hui en CDI à continuer de travailler pour l’entreprise en tant qu’indépendants, pouvant également proposer leurs services à d’autres structures ?
Cette idée semble en contradiction avec le mouvement actuel : le travail effectué au sein des entreprises depuis la fin des années 2000 sur la Marque Employeur vise en effet à développer l’engagement des collaborateurs, à les fidéliser et s’assurer de leur loyauté, dans une optique, notamment, d’infléchissement du turn-over. Une question se pose : peut-on fidéliser un acteur externe comme une ressource interne, tout à fait incluse dans l’entreprise et pour laquelle on pense aujourd’hui même à des plans de développement personnel ? A première vue, le risque de détachement, de désengagement lié aux "infidélités" d’un freelance qui aurait par exemple plusieurs employeurs/clients semble réel.
manager narcissique Tes jours sont comptés !
La ressource temporaire, qui a de fait conscience de l’échéance, de l’aspect éphémère de la collaboration, aura probablement un engagement fort avec l’entreprise le temps de sa mission. En revanche, il est fort à parier que son attachement à celle-ci une fois le projet achevé sera moindre voire inexistant. Si cette hypothèse semble probable dans la relation avec l’entreprise, comment s’assurer que la relation d’un élément extérieur avec les salariés de l’entreprise permettra d’atteindre un niveau élevé de performance ?
Dans les rapports humains qui régissent l’entreprise, le temps peut agir comme un frein ou une contrainte. Comment créer de la confiance et un semblant d’unité entre les collaborateurs pour s’assurer d’une performance optimale alors même que les délais sont réduits et que l’on attend des résultats souvent rapides ? Le concept de bien-être au travail né il y a 10 ans, promu par la Fabrique Spinoza et désormais mesuré avec des méthodes scientifiques prouvant peu à peu son efficacité dans les entreprises privées autant que dans le monde associatif ou le secteur public, suffira-t-il à protéger le modèle et l’ADN d’une entreprise ?
Le leader de l’entreprise 4.0 devra adopter une posture nouvelle, moins égocentrique et dans certains cas, moins narcissique. Celle d’un leader à la fois inspirant et porteur du changement, capable de s’effacer devant un collectif fait de ressources diverses et créateur non plus uniquement de richesse, mais de valeur et de sens pour les collaborateurs.
Matteo Guerra, directeur associé de Page Executive
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