[Tribune] De la donnée industrielle à la souveraineté économique face aux crises
Quand elle aura fini de faire face aux défis conjoncturels, l'industrie devra affronter un enjeu technologique de premier ordre : l'internet des objets industriel. Paul Pinault, VP IIoT product & market strategy de Braincube, analyse les enjeux de cette mutation dans cette tribune.
Avant même que l'économie mondiale n'ait le temps de souffler suite aux cinq vagues du coronavirus qui ont mis à terre des milliers d'entreprises en France et en Europe, l'invasion de l'Ukraine par la Russie a accentué l'incertitude et les risques pour la plupart des acteurs économiques, industriels en tête, particulièrement vulnérables au choc de l'inflation du fait de leur exposition aux matières premières et la hausse exponentielle des prix de l'énergie.
Dans ce contexte où les effets des différentes crises s'ajoutent les uns aux autres, il s'agit pour les industries d'entrer véritablement au 21e siècle. Celui-ci se caractérise par la quatrième révolution industrielle dont l’outil est l’IIoT (Internet des Objets pour l’Industrie). Cette technologie offre des clés optimales aux entreprises pour récupérer et exploiter la donnée industrielle qui fait et fera de plus en plus la richesse et la compétitivité des acteurs économiques. Ceux qui sauront lire les signaux faibles, mesurer et anticiper les nouveaux et prochains impacts, auront l'avantage et seront les champions industriels de demain. Un enjeu de souveraineté pour la France et l'Europe.
Impact énergétique : de l’or noir à la valorisation de la data industrielle
Intégrer la volatilité et la maîtrise des coûts au cœur de modèles industriels plus agiles et résilients est un impératif pour faire face à l’incertitude et aux crises. Alors que les matières premières voient leur coût exploser au rythme des différentes crises que nous traversons, touchant les composants électroniques, le bois, le métal puis les hydrocarbures ou les engrais, il devient nécessaire de prendre le contrôle sur tout ce que l’on peut maîtriser pour faire face.
Si l’industrie subit ces hausses, elle peut toujours contrôler plus finement ses coûts de production, son niveau de non qualité, ses pertes matières. Ceci est l’une des promesses de la transition vers l’industrie 4.0 qui devient une urgence pour les industriels. Cette transformation se caractérise par l’optimisation de la chaîne de production par le bon usage des données qu’elle génère ou est en capacité de générer. La matière première la plus coûteuse, l’énergie la plus chère, est celle que l’on gaspille… La promesse de l’industrie 4.0 est de réduire drastiquement cette réalité souvent sous-évaluée, alliant par là même les défis économiques et environnementaux. Votre donnée industrielle, inexploitée à ce jour, pourrait bien avoir plus de valeur que le coût de l’augmentation des matières premières.
Face à l’envolée des prix des matières premières, évaluer pour pouvoir anticiper
En cette période de pénurie de matières premières ou de composants à assembler, il est question de retrouver le bon rythme de production. Inutile et dangereux de forcer des machines pour les conduire au plus vite à l’entretien. Il nous faut repenser leur usage, pour réduire leur usure. Repenser la maintenance pour la réaliser au meilleur moment et piloter l’outil industriel pour que ces coûts de maintenance s’adaptent à la situation de production. L’analyse de la donnée industrielle rend possible cette adaptation entre usage, usure et maintenance pour un pilotage équilibré de ces trois piliers en fonction du contexte économique.
Par ailleurs, le risque d’une pénurie de matières premières, à l’image des composants, force les industries à des changements rapides de sourcing. Ces adaptations ne sont pas neutres sur le processus de fabrication, bien au contraire, il doit s’adapter vite face à cette nouvelle situation. Cette capacité d’agilité devient une des clés pour garder le cap stratégique et préserver la valeur de son entreprise et de ses savoir-faire. Les composants nouveaux qui vont devoir intégrer les process de fabrication ont une signature physique et chimique différente, avec un impact connu : baisse de qualité, défauts, arrêts de machine… Si ces aléas étaient normaux par le passé, le risque a augmenté et continuera tant que les industries ne les auront pas sous contrôle. En outre, l’expérience humaine, au cœur des solutions, aura besoin d’habitude car sa capacité adaptative est généralement assez lente. C’est pour cela que l’analyse de données à très haute fréquence doit permettre de capter dans l’immédiat les signaux faibles pour orienter rapidement les équipes vers les meilleurs réglages et adaptations. Désormais, face à un contexte de sourcing changeant régulièrement, l’usage de méthode d’analyse de données intégré au processus de fabrication est un atout industriel majeur.
Fin de la mondialisation de la production industrielle et réindustrialisation française
Pour l’industrie comme ailleurs, nous discernons un aller sans retour au fur et à mesure de ces chocs historiques. Les crises successives ont terminé l’ère de la mondialisation à tout-va pour inaugurer celle d’une réindustrialisation longue sur le continent européen en particulier. Mais il ne sera plus question de créer de gigantesques sites industriels déplaçant une population importante ainsi que les marchandises produites sur de longues distances. Cette nouvelle ère de réindustrialisation passera par l'implantation de petits sites faisant appel à une population locales qui jouera sur les effets de concurrence entre industrie locales pour s’assurer une carrière plus riche d'expérience et plus rémunératrice sur le long terme, aussi sans doute plus diverse avec des passages industriels entremêlés de période tertiaires.
Dans ce contexte, la productivité comme la qualité dans la durée se feront par un apprentissage rapide sur les postes et par une collecte d'expérience non plus individuelle mais informatisée. L’époque où l’opérateur aux oreilles exercées depuis 20 ans qui règle la machine pour trouver son optimum est révolue. L’expérience industrielle se fonde sur une accumulation des données de production par des solutions informatiques qui apporteront à des travailleurs plus mobiles le complément d’information indispensable pour être efficaces dans leurs opérations et leurs prises de décisions. Pour rattraper un certain retard, il faut avoir confiance en ce que l’industrie française est capable d'accélérer sur cet enjeu phare.
La situation extrêmement volatile dévoile un monde nouveau où le rapport à l'incertitude gouverne les décisions économiques et industrielles : l'intelligence situationnelle sera le levier majeur de survie. Les acteurs français et européens doivent s'en emparer grâce à un renforcement des investissements dans l'industrial internet of things et la data, car sans industrie 4.0, impossible de mettre en œuvre notre souveraineté industrielle dans la durée.
Paul Pinault, VP IIoT product & market strategy de Braincube
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