Tim Berners-Lee réaffirme les valeurs du Web qu'il a inventé
Des applications accessibles à tous, le respect de la vie privée, l'équilibre des forces… Présent à Lyon pour la conférence www2012, Tim Berners-Lee, co-fondateur du Web, a rappelé mercredi 19 avril les valeurs du Web. Et les moyens de les voir perdurer.
Une salle de conférence pleine à craquer de scientifiques qui écoutent religieusement. Nous sommes à Lyon pour www2012, la conférence de l'organisme de standardisation du web, le W3C (World Wide Web consortium). Et sur scène, au pupitre, un mythe vivant. Sir Tim Berners-Lee, un des inventeurs du Web en 1989 au Cern. Web social, protection de la vie privée, droit à l'oubli…
Le pionnier énonce les uns après les autres les principes qui ont fait le succès de la Toile et doivent, selon lui, continuer de guider son évolution future. Au programme, ouverture, consensus, transparence, vie privée mais aussi démocratie. Un cours de philosophie du web à destination d'une audience déjà acquise.
"L'architecture technique du web est véritablement une architecture sociale, rappelle Tim Berners-Lee en introduction. Concevoir la façon dont un lien marche, c'est beaucoup de psychologie et d'économie. Sans toutes les forces sociales qui le meuvent, le Web ne fonctionnerait pas."
Un navigateur, pas des apps
Les tablettes, les smartphones, les apps… Autant d'éléments qui viennent contrarier la bonne marche d'un Web qui conserve les valeurs de ses débuts. Tim Berners-Lee pointe du doigt Apple, sans le nommer. "C'est comme s'ils faisaient en sorte que vous ayez un ordinateur très puissant, sans pouvoir le programmer, piloter l'appareil photo ou l'accéléromètre. Cela va très bien si on parle d'un réfrigérateur, pas d'un ordinateur ! Qui plus est, vous ne pouvez choisir que les applications qui sont dans la liste qu'ils ont définie !"
Face aux apps d'Apple, de Google et des autres, le W3C milite pour le développement des web apps - open mobile web apps -, ces applications créées avec html5 et accessibles depuis n'importe quel navigateur, sur n'importe quel système. Tout internaute peut accéder à l'ensemble des applications disponibles en ligne. Il enjoint les développeurs dans la salle : "La solution est entre vos mains : développez des web apps, pas des apps !"
Respecter la vie privée en 3 points
La protection de la vie privée en ligne est bien sûr aussi au cœur des préoccupations de Tim Berners-Lee. Il voit trois types d'atteintes à celle-ci dans l'évolution actuelle du web. D'abord, lorsque l'on fournit des informations à un site, pour commander un produit par exemple, on ne peut pas choisir ce que l'on veut laisser et ce que l'on veut effacer après la transaction. Ensuite, il existe selon lui un nombre croissant de "pièges" qui font que des données laissées sur un site par des internautes fuient un peu partout sur le Web sans que l'on puisse intervenir.
Enfin, Tim Berners-Lee s'enflamme contre la technique du DPI (Deep Packet Inspection). Implantée par la plupart des réseaux dans leurs équipements, elle permet de lire chaque "paquet" de données transportées. "L'opérateur peut connaitre votre adresse, votre numéro de téléphone, les membres de votre famille, les maladies dont vous souffrez…"
C'est le consensus qui fait le web
Des vœux pieux, les appels de Tim Berners-Lee ? Pas forcément. La force du W3C qu'il dirige, réside dans la concurrence même entre les grands acteurs, comme le précise le docteur Fabien Gandon, chargé de recherche web sémantique pour Inria (Institut national de recherche en sciences du numérique) et membre du W3C. "Tout une partie du travail du consortium consiste à s'assurer que l'on a suffisamment de poids lourds impliqués pour avoir un équilibre des forces. Nous préparons par exemple HTML5 avec plus de 300 membres. Pour que le standard soit le plus neutre possible, il faut que nous ayons Google, Microsoft, Facebook, Yahoo, etc."
Si l'un d'entre eux est tenté de tirer la couverture à lui, un autre va contre-balancer. "Se parler, écouter, comprendre, se mettre d'accord prend du temps, constate Tim Berners-Lee. Mais c'est ce qu'il faut faire pour garantir des spécifications en bon ordre de marche. C'est une forme de méritocratie qui s'instaure pour conserver un Web ouvert et transparent, presque davantage que l'utopie des débuts !"
Emmanuelle Delsol, à Lyon
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