"Tepco mènera à bien le démantèlement de Fukushima", évalue l’IRSN
Ce lundi 16 décembre, l’électricien japonais Tepco accueillait une délégation d’experts de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de journalistes français sur la centrale accidentée de Fukushima Daiichi. Après avoir parcouru pendant environ deux heures le site en passant des réservoirs géants d’eau contaminée aux parois éventrées des réacteurs, Jacques Repussard, directeur général de l’IRSN, livre son impression à L’Usine Nouvelle.
L'Usine Nouvelle - Vous sortez tout juste de la centrale. 35 mois après l’accident, comment jugez-vous le travail des japonais?
Jacques Repussard - Le site est aujourd’hui sous contrôle, en dehors de tout risque d’une nouvelle catastrophe naturelle. Il reste sensible toutefois à des aléas techniques majeurs comme des fuites d’eau comme on a pu en voir sur les réservoirs. D’une manière générale, mon impression est que le plan de bataille de Tepco est clair et que le projet est précis. Ils ont passé la dernière année à nettoyer le site et à préparer les premières étapes de démantèlement, en ligne avec leur planning de travaux. Ce projet est, du point de vue de l’IRSN, relativement robuste, et nous avons le sentiment qu’il sera mené à bien.
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Vous parlez de site nettoyé, mais on voit encore des carcasses de camions retournés, des portes de bâtiments arrachées, d’épaisses poutrelles d’acier tordues... N’y a-t-il pas lieu de s’inquiéter ?
Non, le plan de Tepco ne vise pas à ce que le site soit beau mais à ce qu’il soit sûr. Cela passe d’abord par le refroidissement des cœurs, par la diminution de la radioactivité ambiante pour pouvoir travailler et par l’évacuation des déchets radioactifs. Le fait qu’on laisse des carcasses de véhicules ne pose pas de problème dans la mesure où elles ne présentent pas de danger radiologique. De même, un bâtiment auxiliaire abîmé n’est pas un souci s’il n’assure pas un rôle de radioprotection ou de bon fonctionnement des installations.
Sur les 4 000 travailleurs présents chaque jour sur le site, les entreprises françaises sont absentes. On trouve essentiellement des japonais, avec quelques "touches" américaines. Est-ce un manque?
Fondamentalement, les japonais maîtrisent les techniques du démantèlement. Il leur reste à régler des problèmes complexes de robotique durcie (résistante aux radiations, NDLR) pour approcher des cœurs, mais ce n’est pas un besoin immédiat. Pour le reste, le Japon possède déjà un grand savoir-faire industriel. Tepco a la volonté de maintenir un chantier le plus simple possible.
Or si on introduit un grand nombre de sociétés étrangères, cela va rapidement poser des problèmes de langues et de compréhension. Et puis, il ne faut pas oublier que le démantèlement est aussi, sur le plan économique, une contrepartie de l’accident. L’arrêt des centrales nucléaire est une perte sèche. Le démantèlement du site et la réhabilitation des zones contaminées créent de l’activité. Il est normal d’en faire bénéficier les entreprises locales. Si une catastrophe se produisait en France, nous ferions pareil.
Autour du site de la centrale, il y a de vastes zones en cours de décontamination où s’accumulent, à perte de vue, de gigantesques quantités de déchets contaminés. Est-ce que le Japon ne se prépare pas un problème pour le futur ?
Qu’elle soit dans les champs ou dans les sacs de stockage, la radioactivité est là. La gestion du risque consiste à essayer de comprendre s’il vaut mieux la regrouper et l’évacuer vers des sites de stockage ou la laisser en l’état. Je ne suis pas sur place et il m’est difficile de dire si "gratter" des champs alors qu‘ils sont à proximité de forêts contaminées est une bonne idée.
Cependant, ce choix n’est pas que radiologique, il est aussi psychologique. Ce nettoyage est une forme de soutien aux populations évacuées qui "voient" baisser la contamination ambiante. La contrepartie est que le pays se prépare à gérer pendant des dizaines d‘années des sites de stockages radioactifs. L’avenir dira si c’est la bonne solution.
Dans une même situation, les français feraient-ils mieux ? Feraient-ils pire ?
Très difficile à dire ! Ce qui a été remarquable chez les japonais, c’est la discipline avec laquelle ils ont observé le processus d’évacuation. Mais leur moins bon point est que l’évacuation n’a pas été toujours bien anticipée. Tepco et l’administration ont parfois été à la limite du retard par rapport aux événements. En France, il y a une tendance à ne pas réagir par des actions réflexes mais à anticiper bien en amont. Je pense que nous ferions mieux sur ce point. Par contre, quid de la discipline ? Si, en situation d’évacuation, on dit à des parents "n’allez pas chercher vos enfants à l’école, la municipalité s’en occupe", est-ce que cette instruction serait suivie d’effet ?
Sur le long terme, nous serions dans la même situation que Tepco. Il serait très complexe de gérer des zones plus ou moins contaminées dont les règles juridiques et de radioprotection varieraient. Et puis nous aurions une difficulté supplémentaire par rapport au Japon, qui est une grande île isolée. La France devrait gérer l’impact sur ses voisins, ce qui ne serait pas du tout évident.
Propos recueillis par Ludovic Dupin, à Fukushima
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