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Supercalcul : L’Europe passe à l’offensive
Afin de s’équiper en calculateurs exaflopiques, l’Union européenne lance un plan d’investissement sans précédent dans le calcul intensif.
Branle-bas de combat ! L’Europe est décidée à se doter d’une puissance de calcul à la hauteur de son rang de deuxième économie mondiale. Pour le Vieux Continent, qui a perdu du terrain sur ses grands rivaux internationaux, l’heure du sursaut est venue, martèle Mariya Gabriel, la commissaire européenne chargée de la Société et de l’Économie numériques. « L’Europe a un atout indéniable, sa recherche, qui représente 30 % de la recherche mondiale, souligne-t-elle. Nous disposons de sources de données extrêmement diversifiées, apportant une grande valeur ajoutée. Il ne s’agit pas seulement du secteur automobile, mais également de la santé, du transport… Il est important de montrer en quoi les supercalculateurs apportent des bénéfices concrets aux citoyens. »
Alors qu’il y a moins de dix ans, l’Europe possédait quatre supercalculateurs classés dans le top 10 mondial, elle n’en compte aujourd’hui plus que deux. Non seulement elle est dépassée par les États-Unis et la Chine en termes d’infrastructures de calcul, mais elle ne peut plus se reposer que sur les technologies américaines pour se doter de calculateurs de classe mondiale.
Un budget de 1 milliard d'euros
Avec son association Teratec et son unique constructeur, Atos Bull, la France ressemblait au village gaulois d’Astérix déterminé à défendre bec et ongles une souveraineté perdue. Mais la persévérance de l’État, qui tenait à bout de bras une stratégie HPC (high performance computing), a fini par payer. Son discours sur le rôle majeur du calcul intensif pour l’indépendance de l’Europe a été entendu et, surtout, relayé par la Commission. Mariya Gabriel, qui a repris le flambeau d’Andrus Ansip, dispose de moyens autrement plus conséquents.
« Le mouvement a été initié lors des Digital days en mars 2017, quand sept États membres ont décidé d’unir leurs forces et de travailler à ce qu’il y ait un vrai projet européen dans le domaine de la simulation », précise la commissaire européenne. Depuis, elle est parvenue à négocier un budget de 1 milliard d’euros destiné à structurer l’initiative EuroHPC pour en faire « un moteur de reconquête ».
Deux machines exascale en 2023
Cette entreprise commune (EuroHPC joint undertaking) a établi une feuille de route qui prévoit le déploiement de deux premières machines pré-exascale en 2021 – des supercalculateurs qui devront figurer dans le top 25 mondial –, puis de deux machines exascale en 2023 – qui devront, elles, se classer dans le top 5 mondial. La structure s’est dotée d’un conseil de direction chargé de superviser la stratégie européenne et de débloquer les budgets, mais aussi de deux comités consultatifs, l’un dédié aux grandes infrastructures, l’autre à la recherche scientifique. « Ces conseillers indépendants nous permettront de nous assurer que les décisions prises au niveau européen prennent bien en compte les réalités, et assureront notre autonomie en tant qu’Européens », affirme Mariya Gabriel.
L’Europe ne veut pas seulement s’équiper en supercalculateurs. Elle a l’ambition de développer des technologies de calcul intensif. Pas moins de 89 projets de recherche financés par le programme Horizon 2020 et impliquant près de 1 350 partenaires à travers 43 pays sont mobilisés pour y parvenir. Les thèmes de recherche concernent de nombreux domaines, allant de la programmation parallèle aux nouveaux matériaux pour les semiconducteurs haute performance, en passant par le cloud, la réduction de la consommation énergétique, les logiciels…
Un processeur made in Europe
Le projet de recherche le plus emblématique de cet effort est sans nul doute l’European processor initiative (EPI), consacré au processeur à basse consommation d’énergie. Il regroupe 23 partenaires, dont le CEA, le Barcelona Supercomputing Center (BSC), l’institut Fraunhofer, STMicroelectronics, l’entreprise française Kalray ainsi que plusieurs constructeurs automobiles. Produire un processeur et un accélérateur de calcul supérieurs à ce que réalisent les américains Intel, AMD et Nvidia pour motoriser un supercalculateur de grande puissance pouvait sembler vain il y a quelques années. Mais la Chine a depuis montré la voie : son calculateur Sunway TaihuLight, numéro trois mondial, est animé de puces de conception et de fabrication chinoise.
« On estime que le budget des États-Unis pour atteindre l’exascale est compris entre 5 et 6 milliards de dollars, souligne Daniel Verwaerde, le président de Teratec et membre du comité consultatif sur les infrastructures d’EuroHPC. Avec Atos Bull, l’Europe est déjà capable de concevoir et construire des supercalculateurs de plusieurs dizaines de petaflops de puissance. Ce qui lui qui manque essentiellement, c’est un processeur. Il est capital pour l’Europe de se repositionner sur cette industrie. D’autant que ces processeurs ne serviront pas qu’au calcul massivement parallèle des supercalculateurs. Ils pourront se retrouver dans nos smartphones, nos tablettes numériques, nos ordinateurs et nos objets connectés. »
Deux axes de R & D
Cet enjeu a été pleinement intégré à la feuille de route d’EuroHPC. La première génération de processeurs, attendue pour 2021 et qui animera l’une des deux machines pré-exascales européennes, sera lancée en même temps qu’un démonstrateur de version embarquée destinée au secteur automobile. Le projet devrait mener de front deux axes de R & D. L’un s’appuiera sur les puces d’ARM pour créer un processeur généraliste pour supercalculateur. L’autre sur l’architecture RISC V pour concevoir un accélérateur. La génération 2, prévue pour 2023, animera le calculateur exascale européen, tandis que la génération 3, planifiée pour 2025, devrait combiner processeur et accélérateur pour les supercalculateurs et développer un processeur dédié à l’automobile.
La finalisation de la phase de conception de la première version de la génération 1 de la puce européenne est espérée pour la fin de l’année. Cependant, bien des incertitudes et des obstacles technologiques demeurent. Ils devront être levés pour qu’un processeur made in Europe anime le premier supercalculateur européen. Celui-ci devrait entrer en production en 2023. Mais l’Europe s’est enfin donné les moyens de ses ambitions.
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