STX, Fincantieri, Naval Group... L’Airbus du naval face à des vents contraires

Alors que les négociations se hâtent lentement pour finaliser le rachat de STX France par l’italien Fincantieri, le ministre de l’Economie, Bruno Lemaire a lancé l’idée d’un Airbus du naval. Idée farfelue ou réaliste ? En attendant, il semble que Paris soit prêt à laisser la majorité du capital aux Italiens.

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STX, Fincantieri, Naval Group... L’Airbus du naval face à des vents contraires
STX vit à 90 % de ses commandes de paquebots. En photo : le paquebot Harmony of the seas produit à St-Nazaire

STX, Naval Group, Fincantieri...La construction navale européenne unie dans un seul groupe pour le civil et le militaire ? Cette idée a refait surface au cœur de l’été après la nationalisation de STX France. Tandis que le dossier des Chantiers naval de Saint-Nazaire s’enlisait depuis des mois dans des négociations difficiles avec l’italien Fincantieri, le ministre de l’Economie, Bruno Lemaire a ressorti le concept magique pour réconcilier tout le monde : un Airbus du naval. La réunion du 27 septembre à Rome est la date butoir pour trouver un accord. Il semblerait que c’est en bonne voie au moins pour le volet civil. Vendredi 22 septembre, le quotidien transalpin La Repubblica annonce que le gouvernement français est prêt à laisser la majorité du capital aux Italiens.

Un Airbus du Naval, pour quoi faire ?

Pour un Airbus, les freins sont nombreux et variables selon que l’on évoque la construction militaire ou civile. Si l’Airbus de l’aéronautique et celui du spatial avec le lanceur Ariane sont des réussites européennes, Bruno Retailleau, l’ancien Président LR de la région des Pays de la Loire, très engagé sur le dossier STX, ironise : "L’Airbus du naval c’est un artifice de communication. S’il y a bien un secteur où Airbus a connu un demi-échec c’est bien le militaire." Les milliards d'euros de surcoûts liés à l'A400M, l'avion de transport militaire européen, ont longtemps plombé et plombent toujours les comptes du groupe Airbus, tiré d'affaires par le succès incroyable des avions civils.

Depuis des années, chaque fois qu’une industrie européenne est en difficulté, il est évoqué de manière opportuniste un Airbus. L’Airbus du ferroviaire refait régulièrement surface devant la menace chinoise. L’Europe a également évoqué tout récemment l’idée d’un Airbus des batteries. "Aujourd’hui, le marché de la construction navale est morcelé. Hyundai, le numéro 1 mondial n’a pas plus de 10-12% du marché. En France, il existe également beaucoup de chantiers navals en dehors de Saint-Nazaire, explique Boris Federovski, conseiller économique au Gican (groupement des industries de construction et activités navales). Et des petits qui sont capables de faire ce que font les gros. Le civil est exporté à 95%, le militaire à 35-40%. D’ailleurs, si on ne va pas au-delà de 50% on va au-devant de grandes difficultés."

Du civil...

Dans la construction navale civile, le rachat de STX France par Fincantieri marquerait sans aucun doute un pas de géant vers un Airbus … des paquebots. En effet, il ne resterait plus que l’Allemand Meyer Werft et ses trois chantiers naval, dont l’ex-STX Finland pour faire de l’ombre au nouveau géant du secteur. Pour la construction navale civile et plus particulièrement les paquebots, l’Europe est une exception. Dans le reste du monde c’est la désolation. "Les paquebots, c’est valable pour un temps. Qu’en sera-t-il dans six ou sept ans ? s’interroge Boris Federovski. Je suis certain que dans cinq ans les chinois sortiront un paquebot." D’où l’intérêt d’avoir un constructeur européen solide.

Un rapprochement franco-italien aura forcément un impact sur le reste de l’Europe. Fincantieri dispose d’un réseau de 21 chantiers dans le monde. Ils ont donc acquis une masse critique et ils sont dans tous les gros programmes de recherche, d’après le Gican. Car bien entendu, les deux principaux protagonistes de l’affaire se refusent à tout commentaire. Si STX France passe sous pavillon italien, il sera alors dans un premier temps possible d’envisager des coopérations européennes. Un expert évoque "une politique des petits pas."

... jusqu'au militaire

Les chantiers navals militaires européens sont au contraire victimes de leur fragmentation. Dans le domaine des bâtiments de surface (frégates, corvettes...) et des sous-marins, Naval Group doit affronter la concurrence de l'italien Fincantieri, de l'allemand TKMS, du britannique BAE, de néerlandais Damen, de l'espagnol Navantia... Un trop plein qui génère une concurrence fratricide. L'été dernier, Naval Group a perdu face à Fincantieri pour la vente de frégates au Qatar. "On a tué nos marges" se désolait récemment Hervé Guillou, PDG du groupe tricolore. Actuellement, son groupe est en compétition serrée face à TKMS pour vendre des sous-marins à la Pologne. Dans leur duel, les deux champions européens y laissent souvent des plumes et leurs marges.

La concurrence extra-européenne va peut-être finir par mettre ce beau monde d'accord. La Russie et la Chine profitent d'un marché domestique en forte croissance pour affirmer leurs ambitions à l'export. Les chantiers chinois fabriquent un sous-marin par trimestre et un bâtiment chaque mois ! Les Russes ont doublé la taille de leur flotte militaire en quatre ans ! A ceux-là, s'ajoutent des outsiders redoutables. Les Japonais ainsi que les Coréens et les Turcs prêts à casser les prix pour prendre des parts de marché. Naval Group a trouvé sur sa route les Chinois en Argentine, au Bangladesh, au Nigéria, au Pakistan, en Thaïlande; les Coréens en Amérique latine, en Thaïlande, en Indonésie ; et les Russes en Inde, au Moyen-Orient et au Vietnam. "Le vrai sujet est de savoir ce que font les Européens entre eux pour arriver à faire face à ces nouveaux entrants et trouver l'effet de taille", alerte Hervé Guillou.

Le frein majeur concerne la gouvernance. Le rapprochement entre Italiens et Français, qui engagent une partie de leur souveraineté militaire, soulève de nombreuses questions. Quel équilibre entre les participations des pays entre eux d'une part et entre eux et les industriels d'autre part ? Le brutal revirement français avec la nationalisation temporaire de STX est révélateur des crispations et des difficultés à venir. Même si un schéma de gouvernance est présenté le 27 septembre, il faudra s'attendre à d'autres soubresauts. Airbus a mis 40 ans pour trouver une gouvernance acceptable, après que les Etats actionnaires concèdent à réduire leurs participations au capital afin de faire de l'avionneur européen une entreprise (presque) comme les autres.

Le casse-tête de la gouvernance

L'organisation industrielle d'un Airbus du Naval risque de tourner au casse-tête. Comment se partager la charge et les compétences industrielles entre les pays et surtout les emplois ? L'industrie navale produit en très petite série. Un programme de paquebots géants ou de sous-marins ne dépassent pas les 10 unités ! On est loin d'Airbus qui produit aujourd'hui environ 1000 avions par an. De quoi mettre en place une véritable organisation industrielle en confiant aux Anglais la production des ailes, aux Allemands et aux Français la fabrication des tronçons de fuselage et l'assemblage de l'appareil.

Peut-on faire la même chose avec un paquebot ou un sous-marin ? Sûrement. Des sites comme Lorient en France, de Riva Trigoso en Italie, de Gorinchem aux Pays-Bas devront se spécialiser, abandonner des compétences et travailler ensemble. "Que fait-on de la R&D, des sous-traitants et de leurs compétences ? s’interroge par ailleurs l’élu vendéen. Fincantieri est très intégré." Du côté syndical, c’est aussi la soupe à la grimace. "FO maintient sa position de maintenir STX dans le patrimoine français. Fincantieri a toujours été un concurrent et il est détenu à 70% par l’Etat italien. Il privilégiera les postes en Italie, prévient Nathalie Durand-Prinborgne, déléguée syndicale chez STX France. Il y a beaucoup plus de travailleurs détachés en Italie, même s’il y en a à Saint-Nazaire. Et surtout ils sont beaucoup plus mal payés en Italie."

L'émergence d'un champion européen soulève également des obstacles d'ordre commercial et concurrentiel. Bruno Retailleau pointe un obstacle de taille. "Je pense que les croisiéristes redoutent une forme d’oligarchie et ils risquent de trouver un exutoire sur les chantiers asiatiques." Les oppositions à ce mariage forcé sont nombreuses. Réfractaire aux situations monopolistiques, la commission européenne pourra exiger de céder des activités.

Le sommet franco-italien du 27 septembre pourrait être le point de départ d'une aventure industrielle européenne aussi enthousiasmante que celle d'Ariane ou d'Airbus.

Olivier Cognasse et Hassan Meddah

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