Stockage des déchets radioactifs : les défis de la réversibilité

Le débat public sur le stockage en profondeur des déchets radioactifs de haute et moyenne activité s’ouvre le 15 mai. Industrie & Technologies a plongé au cœur de Cigéo, le site creusé à 500 mètres dans le sous-sol de Bure, entre la Meuse et la Haute Marne. L’occasion de découvrir un chantier hors norme… et ses défis.

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Stockage des déchets radioactifs : les défis de la réversibilité
Le site de stockage est situé dans des sous-sols argileux à 500 mètres de profodneur

Dans les environs de Bure, c’est d’abord la constellation d’éoliennes, omniprésentes, qui retient l’attention. Plus que vers les cieux, c’est pourtant vers leur sous-sol que les habitants de ce village d’une centaine d’âmes situé à cheval entre la Meuse et la Haute-Marne ont les yeux tournés. A l’écart du village se dressent les bâtiments de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Là, à 500 mètres de profondeur, l’Agence a commencé à creuser les galeries qui abriteront l’ensemble des déchets radioactifs de haute activité (HA) et moyenne activité à vie longue (MA-VL) générés par le parc nucléaire français.

Baptisé Cigéo, ce projet de stockage en profondeur est acté depuis la loi Bataille de 2006. Pourtant, une clause majeure reste à préciser par le débat public à venir : celle de la réversibilité. Dans l’idée, les déchets stockés à 500 mètres dans le sous-sol argileux de la région, pourront être « déstockés » si une hypothétique solution de traitement était identifiée dans les cent prochaines années. En d’autres termes, les déchets seront durablement enfouis… Avec l’impératif de pouvoir être retirés à tout moment. A la clé, des développements techniques insoupçonnés.


Des bétons à l’épreuve du temps


A l’exemple du béton : les déchets MA-VL, qui sont vitrifiés puis coulés dans une coque en inox, sont conditionnés par paquets de deux ou trois, dans des blocs de béton massif. En cas de récupération dans un siècle, ce béton doit rester intact face à l’humidité et aux hautes températures (les déchets radioactifs émettent une chaleur en continu). En partenariat avec des industriels du secteur, l’Andra mène des tests de résistance poussés et élabore des formulations de béton adéquates. Sa « check-list » inclue même des crash-test, consistant à précipiter le bloc de 100 tonnes à 12 mètres de hauteur pour éprouver sa solidité en cas d’accident.


Un robot manutentionnaire


Le cas des déchets de haute activité, irradiants, s’avère plus délicat. Leur manipulation est séparée de tout contact humain. Pour les accueillir, des galeries longues de 80 mètres et de 70 cm de diamètre sont creusées dans la roche. A l’aide d’une plate-forme télécommandée spécialement adaptée, les cartouches remplies de déchets vitrifiés y sont insérées l’une après l’autre. Pour garantir leur récupération, l’Andra a développé un robot avec le groupe Cegelec. Celui-ci s’articule autour de deux tronçons mobiles ; quand l’un pousse ou tire les déchets, l’autre s’arrime solidement à la paroi tubulaire grâce à un coussin gonflable. L’engin tracte ou pousse ainsi les déchets à la manière d’une chenille.

Hotte de transfert spécifique, galerie tubulaire... la manutention de déchets de haute activité (HA) est séparée de tout contact humain


Un défi logistique


Outre cette complexité technique, c’est la logistique même de la réversibilité qui pose question. Alors que les colis seront enfouis au compte-goutte - l’entreposage des déchets MA-VL doit débuter dès 2025, celui des HA pas avant 2070 – leur déstockage devrait s’avérer également long et complexe. « Il faudra 100 ans pour stocker les déchets radioactifs, ce que l’on a produit en 50 ans. On est donc plutôt sur le rythme d’une mécanique agricole que sur celui d’une industrie automobile », image Thibaud Labalette, responsable des opérations de Cigéo.


L’argile, rempart ultime aux radionucléides


Si les contours de la réversibilité restent donc à affiner, le principe même du stockage en profondeur semble inévitable. Pour lors, les déchets de HA et MA-VL sont entreposés sur le site de La Hague. Mais cet entreposage « en surface » reste limité. Raison principale : la tenue dans le temps des matériaux de confinement (verre, inox, béton), qui se désagrègent en deux cents à cinq cents ans, selon Thibaud Labalette.

La décroissance de la radioactivité pouvant prendre pour ce type de déchets plusieurs centaines de milliers d’années, le stockage dans des couches géologiques offre un relais de confinement à long terme. D’après les évaluations scientifiques menées par l’Andra, les couches argileuses caractéristiques de la région laissent filtrer les radionucléides à des vitesses extrêmement lentes. Ainsi, toujours selon l’Agence, la radioactivité résiduelle qui finira par se frayer un chemin à travers 500 mètres de roches et affleurer en surface restera dix à cent fois inférieure à la radioactivité naturellement émise par le sol.

La majorité des pays disposant de déchets nucléaires s’orientent vers le stockage en profondeur. Jusqu'ici, seules la Suède et la Finlande ont déjà entrepris la construction de sites comparables.

Hugo Leroux

Un chantier hors norme

Les 2 km de galeries, enfouies à 500 mètres sous terre, connaitront une période d’exploitation d’au moins cent ans. En termes d’ampleur, ce chantier coordonné par Technip et Ingerop est comparable à celui du tunnel sous la Manche... Avec les normes de sécurité idoines, qui empruntent aussi bien à aux industries minières, pétrolières que nucléaires. Afin de mieux respecter les contraintes géologiques du terrain, l’une des galeries sera ainsi creusée… en angle droit. Conséquence de cette première mondiale : le tunnelier, un monstre dont l’assemblage dure deux mois, doit être démonté sur place et reconstruit à la perpendiculaire ! Le transit des déchets de la surface jusqu’aux galeries fait aussi l’objet d’une solution originale : un funiculaire - wagons tirés par des câbles - préférée aux camions pour limiter les risques d’accidents.

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