Soigner sa communication, préoccupation nouvelle de la Fed
par Jonathan Spicer et Ann Saphir
NEW YORK/SAN FRANCISCO (Reuters) - Dès lors que le principal souci de la Réserve fédérale américaine n'est plus de savoir si elle doit dénouer son programme de soutien à l'économie mais quand elle devra le faire, la réunion monétaire de la semaine prochaine s'emploiera surtout à trouver la meilleure méthode de communiquer à ce sujet.
Les dernières statistiques du marché de l'emploi outre-Atlantique s'étant révélées solides, certains professionnels des marchés voient bien la Fed commencer à réduire ses rachats d'actifs à l'occasion de sa réunion des 17 et 18 décembre. La plupart pourtant pensent qu'elle maintiendra ses achats mensuels d'emprunts d'Etat à 85 milliards de dollars.
Les grandes banques centrales de la planète ont recours à ce que l'on appelle une communication avancée ("forward guidance") pour persuader les marchés financiers qu'elles n'hésiteront pas à soutenir la croissance des grandes puissances économiques aussi longtemps qu'il le faudra.
Cela veut dire en théorie que les coûts d'emprunt doivent rester suffisamment bas pour permettre à ces économies de regagner le terrain perdu durant la récession.
C'est ainsi que pour relever une économie américaine qui a connu sa pire récession depuis des décennies, la Fed maintient son taux d'intervention près de zéro. Dans le même temps, afin de maintenir bas les taux d'emprunt à long terme, elle s'est lancée dans le rachat massif d'emprunts d'Etat (Treasuries) et d'actifs adossés au marché immobilier.
Toutes ces actions sont enfin arrosées de communication avancée, un élément important et relativement nouveau de la stratégie de la Fed en vue de stimuler l'investissement et l'emploi.
DU CHANGEMENT DANS L'AIR
La Fed s'est engagée depuis décembre 2012 à ne pas même songer à relever les taux d'intérêt tant que le taux de chômage ne sera pas retombé à 6,5% au moins. Moins précises mais tout aussi importantes sont les indications données par la banque centrale sur ses achats d'actifs, à savoir qu'ils dureront tant que la situation du marché de l'emploi ne se sera pas nettement améliorée.
A présent que le taux de chômage est passé de 10% voici quatre ans à 7%, il semble qu'il y ait du changement dans l'air.
Les marchés peuvent s'accommoder d'un "dénouement (tapering) de moindre ampleur", a déclaré James Bullard, le président de la Fed de Saint-Louis, à des conseillers en investissement cette semaine. Même le très accommodant patron de la Fed de Chicago Charles Evans a dit récemment qu'il était "ouvert" à une réduction des rachats d'actifs, tout en ajoutant qu'il préfèrerait attendre quelques mois.
"Il semble que pratiquement tout le monde (au comité de politique monétaire, Fomc) pense qu'un dénouement des achats d'actifs devrait intervenir dans les toutes prochaines réunions", observe Scott Anderson (Bank of the West).
"Il est probable que la réunion de décembre portera surtout sur la 'forward guidance', pour laquelle ne semble pas se dégager de consensus net", ajoute-t-il. "A mon avis, ils aimeraient bien la renforcer sur les taux courts au moment même où ils commenceront à dénouer".
Les membres de la Fed discuteront également de l'opportunité d'adopter un calendrier prédéfini pour dénouer le programme d'assouplissement quantitatif - autre nom donné aux rachats d'actifs - qui en est à sa troisième déclinaison (QE3) depuis la récession.
Quatre responsables de la Fed ont publiquement pris fait et cause pour ce principe, estimant que les marchés n'en assimileront que mieux le changement de cap de l'institut d'émission.
Ils sont deux au moins - John Williams, président de la Fed de San Francisco, et Charles Plosser, son homologue de Philadelphie - à vouloir plafonner le QE, qui a déjà eu pour effet de gonfler le bilan de la Fed à 4.000 milliards de dollars.
ÉVITER D'ÊTRE TROP COMPLIQUÉ
Quant à savoir quand les taux remonteront, la moitié des économistes interrogés par Reuters estime que la banque centrale reformulera son engagement envers des taux ultra-bas en promettant de pas les relever tant que le taux de chômage ne sera pas tombé à 6%, voire moins.
L'idée sous-tendant cet abaissement du seuil de chômage serait de s'épargner une liquidation du marché obligataire telle que celle survenue au printemps lorsque l'on a cru que la fin du QE était proche. Les dégagements avaient propulsé les coûts d'emprunt longs à des niveaux pouvant devenir prohibitifs et c'est l'une des raisons pour lesquelles la Fed n'avait pas réduit ses rachats d'actifs en septembre.
Mais il se peut tout aussi bien que le principe ne convienne pas au président sortant Ben Bernanke, lequel pourrait user de formulations plus carrées et précises pour signifier que la politique monétaire ultra-accommodante sera encore en vigueur bien après que le taux de chômage sera revenu à 6,5%.
Cette politique de communication avancée par le menu ne convient pas à tous les banquiers centraux.
Haruhiko Kuroda, le gouverneur de la Banque du Japon, a dit la semaine dernière que les banques centrales devraient éviter de pratiquer une communication avancée par trop compliquée.
"Une 'forward guidance' trop compliquée, une communication trop compliquée risque d'être moins efficace, voire même perturbante".
Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Benoit Van Overstraeten