Siemens va-t-il manger Alstom à la même sauce que Matra Transport ?

L'alliance entre Siemens et Alstom se promet de donner naissance à un géant européen du ferroviaire, et les prérogatives de chacun demeurer équitables. Mais il y a 20 ans, le conglomérat allemand s'emparait déjà d'un fleuron français du ferroviaire : Matra Transport International. Comment cela a-t-il été vécu par les salariés français absorbés à l'époque? Et où en sont-ils aujourd'hui? Lumière sur la méthode Siemens.

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Siemens va-t-il manger Alstom à la même sauce que Matra Transport ?
En 1980, le VAL de Matra entre en fonctionnement à Kobé au Japon.

Ce n'est pas la première fois que le groupe allemand Siemens met la main sur une pépite française du ferroviaire. Début 1996, Siemens entre au capital de Matra Transport - alors grand concurrent d'Alstom -, la société française qui a intégré le CBTC, la technologie au cœur des automatismes des métros de type Val et Neoval vendus à travers le monde. Alors aux questions empreintes d'inquiétude : à quelle sauce Alstom va-t-il être mangé? Et va-t-il seulement l'être ou de réelles forces vont pouvoir émerger du rapprochement de Siemens et Alstom scellée dans la soirée de mardi 26 septembre? Les ex-Matra peuvent apporter un éclairage.

Au début tout allait bien. La période du 50-50 entre l'industriel allemand et la branche transport de Matra est perçue comme transparente pour les salariés français. L'arrivée du solide Siemens enthousiasme même les troupes : le Français va devenir centre de compétence mondial dans les automatismes. "Matra Transport était une pépite et représentait le haut de gamme sur le métro automatique", raconte un cadre de Siemens Mobility qui a vécu la transition. "Très rapidement le partenariat avec Siemens nous a permis de soumettre des offres de métro sans conducteur. Notamment la France a été invitée à participer à des appels d'offre en direct à Düsseldorf et Porto Rico dès 1997", se souvient-il. Puis la coentreprise se transforme. Fin 1998, Siemens prend 95% des parts de Matra Transport, en décembre 2000, les 5% restants. Mais, même à cette époque, hormis la "com'" vers l'extérieur, le changement d'étiquette ne perturbe en rien les habitudes du petit Poucet.

Stratégie décidée en Allemagne

Le vent tourne finalement dix ans après l'entrée de Siemens dans Matra Transport. "A un moment, je ne sais plus quand exactement, il y eu un basculement", reconnaît un ex-Siemens qui est entré dans le groupe avant même l'époque Matra. "Comme le serpent, Siemens est un animal à digestion très lente", poursuit l'ancien syndicaliste, "tant que la France était rentable, rien ne s'est passé. Les choses se sont gâtées avec l'installation d'un nouveau management en Allemagne, sous la direction de Peter Löscher". Ce que corroborent d'autres salariés qui ont particulièrement mal vécu l'intégration de la filiale française en tant qu'entité de la multinationale. On est alors en 2007-2008, la branche transport de Siemens France commence à perdre des marchés. L'environnement est de plus en plus concurrentiel. Et en interne la guerre (larvée) est déclarée, puisqu'au sein des trois sites industriels de Siemens Transport en France, on est persuadé que l'Allemagne veut "voler les technologies" de la France et que des têtes vont tomber.

Il faut dire que le fait que la France devienne centre de compétence mondial a fini par être chahuté. Et, de guerre lasse, ont coexisté des produits "Matra" et des produits Siemens. Une compétition entre les automatismes conçus à Châtillon, en région parisienne, et ceux conçus historiquement par Siemens Mobility sur son site de Braunschweig en Allemagne. "C'est devenu plus compliqué", explique pudiquement l'ingénieur de Siemens France, faisant référence aux bras-de-fer de ces dernières années. "Matra Transport c'était la grenouille avalée par le bœuf, ce n'était pas totalement une opération entre égaux !", s'amuse-t-il. Même si le savoir-faire et les inventions françaises sont restés en France, la société étant complétement intégrée, elle n'est pas libre de soumettre des offres là où elle le veut. La stratégie est totalement adoptée depuis l'Allemagne.

Le siège reste entre les mains des Français

"Chez Siemens les décisions prennent du temps mais cela finit toujours par se faire", résume ce salarié. Plus pessimiste, l'ancien délégué syndical déclare : "Matra a eu 12 ans de paix industrielle, pour Alstom, Siemens offre 4 ans, mais ils n'auront pas plus". L'homme énumère, retrait progressif de l'entité française de certains marchés par la holding, détermination de certaines zones commerciales aux produits allemands, offre de rapatriement des technologies en Allemagne… Toutefois le contexte, et les sujets ne sont pas les mêmes dans le début des années 2000 et maintenant. L'ancien "petit Français" Matra, le rapprochement avec Alstom est une opportunité, notamment d'avoir plus de poids en France, en étant accolé à un géant. "Même si du côté d'Alstom, les inquiétudes sont légitimes, le fait que le siège de la coentreprise soit à Paris est un bon signe", affirme le cadre de Siemens, "le management à la française étant plus à même de gérer la pluralité que l'allemand, et plus expérimenté pour répondre aux actionnaires".

*L'auteur de cet article a travaillé chez Siemens de 2009 à 2011 mais n'a plus aucun lien, à ce jour, avec le groupe.

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