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Science : Jean-François pinton, Nicolas Mordant et François Daviaud
Une masse de sodium en fusion tourbillonnaire rend compte pour la première fois du magnétisme terrestre... de sa stabilité, et de ses inversions. Une première mondiale. C'est la « manip » définitive, indiscutable. Qui aura pris une décennie, englouti quelques millions d'euros, fait collaborer entre dix et vingt experts, et se sera conclue, fin 2006, en première mondiale. « Nous nous sommes offerts un bout d'astrophysique en laboratoire », résume Jean-François Pinton, l'un des pères de cette expérience, reproduisant le magnétisme des astres. Ce dispositif accrédite le modèle théorique de la dynamo fluide. Et rend compte des retournements de pôle magnétique que la Terre connaît à l'échelle des temps géologiques.
On sait, c'est une loi physique, que le déplacement d'une boucle conductrice dans un champ magnétique engendre un courant dans la boucle. Mais l'inverse est vrai : la circulation d'un courant dans une boucle, produit un champ. Au cœur de la Terre, de telles boucles de courant sont ainsi produites et autoentretenues par le mouvement turbulent du fer en fusion dans le noyau. C'est ce mécanisme que l'expérience de « Von Karman Sodium » (VKS) vient confirmer.
Conçue en 1994, cette expérience réunit le CNRS, l'Ecole Normale Supérieure de Paris (Nicolas Mordant), celle de Lyon et le CEA Saclay (François Daviaud), « au sein de l'équipe VKS ». L'idée : faire tourner à grande vitesse une masse de sodium liquide dans une double turbine. Et elle « tourne »...au CEA Cadarache (Bouches-du-Rhône). L'expérience repose sur d'intensives études en laboratoire de prototypes d'écoulement en eau, en gallium et sur des modèles mathématiques.
Pourquoi du Sodium ? « Parce que ce métal réalise au-dessus de son point de fusion (98°C) le meilleur compromis entre une bonne conductivité et une densité raisonnable, souligne Jean-François Pinton, à l'ENS-Lyon. Problème cependant: le sodium est des plus réactifs, à l'air et à l'eau. » D'où l'évidente collaboration de la Direction de l'Energie Nucléaire du CEA Cadarache, expert du refroidissement au sodium pour l'industrie nucléaire.
De fait, l'étanchéité est une gageure ! Du seul fait du passage des deux arbres de rotation tournant en sens inverse à 2 000 tours/mn. « On fait en sorte que les fuites éventuelles s'évacuent dans une chambre emplie d'un gaz inerte (l'argon). » Cette étanchéité triple barrière est le fruit d'une collaboration avec l'Allemand Burgmann-Eagle.
L'expérience VKS est un magnifique tour de force technologique.
Jean-François Pinton
- 47 ans
- Ancien élève de l'ENS Saint-Cloud
- Directeur de recherche au CNRS et directeur du laboratoire de physique de l'ENS Lyon.
Nicolas Mordant
- 33 ans
- Maître de Conférences à L'Ecole Normale Supérieure, Paris
- Chercheur au Laboratoire de Physique Statistique, ENS.
François Daviaud
- 45ans
- Ancien élève de l'Ecole Centrale Paris
- Chercheur au CEA et adjoint au Chef du Service de Physique de l'Etat Condensé du CEA Saclay
« Les techniciens de Cadarache nous ont aidé à réaliser une sorte de Formule 1, s'amuse le chercheur. L'image n'a rien d'outré : « On pilote » un bolide de 500 cv... D'ailleurs si l'on considère les 200 l de sodium auquel on injecte de l'énergie, on parvient à des ratios proches de la F1 : 1 kW par kg. » Un bolide tournant à 2 000 tours/minutes, pressuré à 5 bars pour limiter l'effet de cavitation sur les pales des deux turbines, porté à 120°C. Une température qu'il convient de réguler à moins 5° C près, grâce à une circulation d'huile noyé dans l'épaisseur du cylindre.
La mesure aussi, pose des problèmes inédits. A l'extérieur du cylindre, un champ de 40 Gauss a pu être simplement mesuré. Mais les chercheurs ont bien sûr voulu sonder le cœur même de la masse en fusion. Pour combler ces bassins et retenir l'eau de pluie par la méthode traditionnelle, il ne faudrait pas moins de 24 000 tonnes de gravats.
«Là, on a obtenu des valeurs jusqu'à 200 Gauss ! Au prix de sondes refroidies, développées par les équipes d'électronique de nos laboratoires », souligne le chercheur.
De 1998 à 2001, l'équipe a multiplié des essais courts, au mieux, avant de revoir sa copie, et d'entamer enfin, en 2002, les premières mesures en régime stabilisé.
Le cœur du dispositif est un cylindre de cuivre de 70x70 cm, dû au fondeur lyonnais Pourprix. Mais l'installation occupe 100 m2 au sol, sur deux étages, commandée depuis un poste de commande proche de celui d'un avion de ligne !
La question démange... Une simulation numérique n'aurait-elle pu suppléer l'expérience en dur ? Les chercheurs de l'équipe sont formels : « Impossible. Un peu comme si Météo France prétendait prévoir le climat à un siècle... Car, ici coexistent deux échelles de temps très éloignées. Celle des turbulences dans le fluide, de l'ordre de la ms, et celle de la variation du champ magnétique proche de la minute. Les meilleurs modèles numériques comme ceux de Gary Glatzmaier [Université de Californie, Etats-Unis] sont à des années-lumière de la représentativité. »
Toute l'équipe salue Marc Moulin, l'ingénieur de l'ENS Lyon auteur des plans de la machine et André Skiara, technicien du Sodium au CEA-Cadarache. Et Jean-François Pinton de conclure : « Nous n'avons pas fabriqué une Terre en miniature, mais un modèle de physicien: quel est le minium d'ingrédients concourant au phénomène ? Il est avéré que l'aspect tourbillonnaire, loin de tuer le champ magnétique, assure bien au contraire sa stabilité. Avec cette machine, apte à fonctionner des heures durant, nous pourrons peut-être comprendre le magnétisme, si riche, des astres. »
Thierry Mahé
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